Dans cet épisode, Victor reçoit Isabelle pour évoquer le Congrès Velocity, un événement majeur pour les professionnels du vélo et de l’urbanisme. Isabelle raconte son rôle clé dans l’organisation de l’édition parisienne, qui a marqué un tournant pour l’événement en abordant le vélo sous l’angle de la transformation urbaine.
Entre anecdotes passionnantes et défis surmontés, elle partage également son regard critique sur les aménagements cyclables actuels à Paris. En fin d’épisode, Isabelle partage avec émotion un souvenir marquant de ses premiers pas avec le vélo, entre rires et nostalgie.
🔗 Retrouvez Isabelle et ses projets sur son blog : https://www.isabelleetlevelo.fr et https://www.linkedin.com/in/isabelle-lesens-982b4223
Bonne écoute !
Quelques citations pour vous mettre l’eau à la bouche !
« On a globalisé l’affaire et c’est devenu ce que c’est devenu. »
« C’est un peu fou. Et puis l’agence de communication, un beau jour, ils m’ont amené un stagiaire, un jeune homme qui a été magnifique. »
« Ce n’est pas que je ne veuille pas le dire, parce que je peux le dire, mais ce que je reproche, c’est qu’il y a l’obsession du kilométrage, et ça, je ne suis pas d’accord du tout. »
« Et alors, le problème aussi, c’est que Paris est la capitale de la France. Enfin, au moins de la France. Et que donc, cette histoire de pistes à double sens, qui est une hérésie totale, j’insiste, eh bien, est copiée partout, maintenant. »
« Je n’hésite plus à aller assez loin à vélo. Et j’y vais sans forcer, sans chercher à aller vite. D’ailleurs, j’y vais tranquillement, normalement, et j’arrive au bout. »
« La gloire. La gloire, madame, la gloire. »
« Tous les gens qui aiment le vélo parlent de leur… Quand c’est les hommes, ils parlent de leur vélo comme de leur femme. »
Grâce à Autoscript.fr, je vous propose de retrouver la transcription de notre échange.
—
Ce podcast animé par Victor Blanchard est proposé par https://bleen.be, et vous accompagne dans votre démarche pour vous mettre ou pérenniser votre pratique du Vélotaf.
Retrouvez Bleen sur les réseaux : Facebook Linkedin
Lire la transcription intégrale de l’épisode
Victor : Bonjour Isabelle et bienvenue de nouveau sur Vélotaf.
Isabelle : Bonjour Victor.
Victor : Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, je vous invite à écouter le premier épisode qu’on a enregistré ensemble où je présente Isabelle plus en détail. Vous pouvez aussi écouter le deuxième épisode qu’on a publié où on parle de la fermeture des berges de Paris pour les libérer, pour les piétons et les cyclistes. Et aujourd’hui, on va parler d’autre chose. On va parler du congrès Vélocity. Alors, est-ce que tu peux nous expliquer d’abord ce que c’est le congrès Vélocity ? Parce que même moi, je ne le connaissais pas du tout.
Isabelle : Oui, c’est un congrès international qui est organisé toujours par l’ECF, European Cyclist Federation, qui se trouve dans le siège est Bruxelles, qui est un lobby vélo auprès de la communauté européenne. Et il avait lieu à l’époque, tous les deux ans, dans une ville d’Europe, maintenant c’est mondial, mais bon. Et il y avait un directeur des Vélocity qui était britannique en l’espèce, Oliver, et qui travaillait avec la ville qui avait emporté la compétition pour organiser cet événement. Donc c’est un congrès scientifique, en réalité, qui s’adressait principalement aux professionnels. Et d’ailleurs, l’entrée n’était pas du tout dans les budgets habituels des citoyens de base. Elle n’est toujours pas. C’est avisé professionnel, et il y a les prestations qui vont avec, évidemment.
Victor : Juste petit aparté sur l’ECF, la European Cyclist Federation. Tu nous as expliqué que c’est un lobby vélo auprès de la Commission européenne. Est-ce que leur action est efficace à l’heure actuelle ? Parce que moi, j’avoue que j’en avais entendu parler juste une ou deux fois, mais je n’ai pas l’impression qu’ils soient très visibles.
Isabelle : Je ne pourrais pas trop dire, parce que je ne les suis que d’un peu loin. Mais je ne serais pas aussi critique que ça en tout cas, normalement. Les lobbies, ça ne se voit pas. Mais ils sont quand même, je crois, très actifs. Ils ont quand même lancé les véloroutes européennes, les fameuses EV, numéro 3, 6, etc. Mais aussi beaucoup d’autres choses. Je crois que ce sont eux aussi qui ont plaidé pour des règles d’emport des vélos dans les trains qui ne soient pas autant qu’il faudrait. Mais enfin, il y a quand même un progrès. C’est qu’il y a au moins, c’est écrit, avec un chiffre. Même s’il est faible, c’est un début, me semble-t-il. Bon, enfin, je ne peux pas dire grand-chose, parce que, encore une fois, je ne les suis pas de près.
Victor : En tout cas, ça me donne des idées d’invités pour plus tard. Si j’arrivais à avoir quelqu’un de l’ECF, ce serait chouette sur le podcast, je pense. Et dans quel cadre est-ce que tu t’es retrouvé à diriger la candidature de Paris pour accueillir Vélocity ?
Isabelle : Alors… Il fallait d’abord que Paris soit candidate. Et donc, Delanoë venait d’être élu. Et il fallait faire vite. Et donc, c’est un copain à moi qui a convaincu, en réalité, Beaupin, de porter la candidature de Paris. Et ce copain a rédigé le dossier de candidature. Mais c’est la réalité aussi. Et Beaupin, ensuite, a été plaider auprès de l’ECF. Comme il se doit, il a été reçu, etc. Et notre dossier n’était pas très bon. Il n’était pas brillantissime. Il a été fait dans des mauvaises conditions. Mais ça ne fait rien, parce qu’on l’a eu. Et sincèrement, pourquoi on l’a eu ? C’est que Paris, c’est une belle ville. Pour résumer. Ça a aidé beaucoup. Voilà. Ils n’ont pas eu tort de nous le confier. Parce qu’on a fait passer un cap intellectuel à ces congrès qui, jusqu’alors, étaient surtout des congrès un peu d’ingénieurs. C’est-à-dire, quelle largeur de piste cyclable, quel type de revêtement, goudron au sol ou pas, des choses comme ça, comment on signale, des choses techniques. Et nous, on n’a pas traité du tout ce genre de sujet. On a délibérément décidé que ce serait un congrès d’urbanisme. Quelle est la ville qui favorise le vélo. Ou en quoi le vélo transforme la ville ? Donc, on a fait passer un cap… On a globalisé l’affaire et c’est devenu ce que c’est devenu. Alors ça, c’est la première chose. Et puis ensuite, de quoi… Moi, j’ai travaillé dans de mauvaises conditions mais j’étais déjà la personne que je suis encore. C’est-à-dire, j’étais passionnée et j’avais plein de bonnes idées. Et je connaissais tout le monde aussi. Tout le monde dans le milieu. Ça veut dire que j’ai choisi le comité scientifique avec des gens vraiment excellents et passionnants et qui se sont engagés à fond et qui ont énormément travaillé. Et puis, il y avait aussi le comité technique où je savais qu’il fallait inviter… Enfin, je connaissais les corporations, etc. Alors, voilà. Ça a été deux ans de… Ça a été très difficile. Mais le résultat… Oui, et j’ai imposé un certain nombre de choses sur lesquelles je n’ai jamais cédé. Par exemple, je voulais que ça soit M. Teddy Follenfant qui était un homme de radio très connu à l’époque. Je voulais absolument que ce soit lui qui anime la plénière d’ouverture et la plénière de clôture. Et… Ah, mais il est cher, etc. Et je disais, oui, mais il est bon. Je l’ai imposé vraiment. J’ai dit qu’il n’était pas question de céder. J’ai eu mille fois raison parce qu’on a eu une plénière tellement… d’ouverture tellement extraordinaire grâce à lui. Qu’à un moment, je me suis dit, bon, il peut arriver ce qu’il peut arriver. Ça peut être médiocre. Tout ça, ça n’a aucune importance. La plénière est géniale. Ça suffira pour la mémoire. Vraiment, je me suis dit ça. Non, c’était un truc de dingue. Et puis, évidemment, comme je vous dis, j’avais des idées assez fortes. Par exemple, j’avais évidemment une agence d’organisation d’événements. Je leur ai demandé d’obtenir la bande-annonce des triplettes de Belleville que personne ne connaissait puisqu’ils n’étaient pas encore en salle. Je ne sais pas comment je l’ai su. Mais en tout cas, c’était le cas. Et ils ont eu beaucoup de mal. Ils ne voulaient pas et tout ça. Et j’ai tellement insisté que j’en ai fait même un peu une faveur que je demandais personnellement même qu’ils l’ont obtenue. Et ça a fait un triomphe. Alors que c’était hors sujet. Ça ne parlait ni de l’urbanisme, mais ça a fait un triomphe. C’était magnifique. Ça a été tout le long des événements un peu comme ça. De trucs très forts.
Victor : Les triplettes de Belleville, j’ai vu ce film il y a quelques années. J’ai bien aimé. C’est un peu sombre, mais c’est un chouette film.
Isabelle : Oui, c’est super sympa.
Victor : Comment tu expliques le manque de soutien de la mairie de Paris pour accueillir ce congrès ?
Isabelle : Parce que M. Delanoë ne s’intéressait pas à la question. Il ne s’y est jamais intéressé. Il avait d’autres qualités, mais pas du tout là-dessus. Et quant à Denis Beaupin, il n’avait pas réalisé que ça allait être un très grand événement. Il s’en est rendu compte huit jours avant. Dix, peut-être. Parce que je suis charitable. Mais avant, il n’a jamais réalisé que c’était un événement important. Comme il ne s’intéressait pas énormément, on va dire. En tout cas, il n’avait pas une vision globale du vélo avec une politique forte, comme il y a maintenant. Bien sûr, il a fait quelques réalisations. On ne peut pas dire le contraire. Mais ce n’était pas non plus la même époque. Ce n’est pas la peine d’insister. En tout cas, il ne s’est pas rendu compte que c’était un événement important. Et moi, à l’inverse, j’étais affectée, parce qu’il faut bien être quelque part au service de la voirie, ce qui n’était pas forcément le bon endroit. Je pensais qu’au service de la communication, ça aurait été plus efficace pour moi. Peut-être. Mais en tout cas, ces messieurs de la voirie, ils se sont bien rendus compte que j’étais en train de me noyer, que c’était démesuré, que ce n’était vraiment pas jouable, etc. Et eux, tout d’un coup, ils m’ont amené un monsieur en disant que c’est lui qui va s’occuper de tous les dossiers administratifs. Je n’avais rien demandé. Je ne savais pas que je pouvais avoir de l’aide. C’est un peu fou. Et puis l’agence de communication, un beau jour, ils m’ont amené un stagiaire, un jeune homme qui a été magnifique, qui a fait mon secrétariat de façon parfaite, sans un mot. C’était tout bien. Il y a eu plein d’événements comme ça. Oui, le président du comité des partenaires, lui aussi, il a été magnifique, je sais très bien. Par exemple, tiens, un tout exemple idiot. Le catalogue du congrès. Il y a forcément un éditorial du directeur du congrès. C’est un peu logique. Donc j’avais signé Isabelle Lesens, directrice du congrès VeloCity. Et il ne voulait pas, parce que directeur, c’est un titre, c’est un grade, machin, truc. Donc il ne voulait pas à la ville. Et en fait, il l’a obtenu. Il a dit, mais oui, c’est la directrice. On ne dit pas qu’elle est directrice de la ville de Paris. On dit qu’elle est directrice du congrès. Ce n’est pas pareil. Et donc, il l’a obtenu. Il a dit, mais si, il faut le laisser. C’est tout à fait normal qu’elle veuille écrire ça. Et tout ça, je l’ai deviné. Bien sûr, il ne s’en est pas vanté non plus. Mais je le sais bien que c’est lui.
Victor : Et est-ce que cette édition que tu as un petit peu réformé aussi de l’intérieur, ça… Enfin, avec l’équipe. Oui, bien sûr, avec ton équipe. Est-ce que ces évolutions, elles ont perduré dans le temps ?
Isabelle : Oui, complètement. Ils ont oublié que ça avait basculé à Paris. Ce qui est normal, c’est un peu ancien maintenant. Mais oui, tout à fait. Puis, il y a eu des choses. Par exemple, la SNCF devait… Tous les partenaires devaient offrir des objets ou participer d’une façon ou d’une autre à l’événement. Et la SNCF m’avait proposé, tenez-vous bien, des housses pour emballer les vélos. Et je leur ai dit, ça, il n’en est pas question, vous pouvez vous les garder, mais vous pourriez peut-être nous offrir plutôt des serviettes pour le travail, ce qu’on appelle une serviette un cartable, si on veut, qui se clipse sur le vélo. C’est ce qu’ils ont fait. Ça a été une… Alors, avant, c’était toujours un sac en tissu ou une mallette avec une fermeture éclair, enfin, les trucs un peu habituels. Et là, tout d’un coup, on a eu un objet hyper pratique, hyper de bonne qualité, finalement. Et pendant 20 ans ou 10 ans ou tout, je croisais des gens qui l’utilisaient. Enfin, ça a été un coup de maître, quoi. Alors, l’équipe SNCF, moi, mais n’empêche. Si j’avais accepté leur mallette, je leur ai dit, on va me piétiner, c’est pas possible. Leur emballage pour vélo démonté, puis quoi encore ? Et puis la RATP a joué un jeu magnifique, ils ont offert une soirée dans un dépôt de tramway à Issy-les-Moulineaux, un truc extraordinaire, magnifique, invraisemblable. Enfin, bon, il y a eu une équipe et une émulation dans l’équipe et tout ça. Formidable, quoi, vraiment. Vraiment, c’était formidable.
Victor : Écoute, après tous ces beaux souvenirs, je propose qu’on parle un peu plus du présent, maintenant, puisque t’as beau avoir 72 ans, t’es toujours très active et tu es, échevine dans le 15e arrondissement de Paris. C’est exact. Alors, en tant que Parisienne, quel regard tu portes sur l’évolution de Paris vers une ville plus adaptée au vélo ?
Isabelle : Ma situation est un peu délicate pour répondre, je vais répondre, mais je suis dans une équipe qui est dans l’opposition à la maire de Paris actuelle. D’accord ? Et les clivages politiques pourraient ne pas exister aussi forts, il se trouve qu’ils sont assez forts. Après, ça dépend des personnes. Et en public, on peut être opposé, et tout à fait en harmonie en privé dans un bureau, normalement. Il se trouve que c’est mon deuxième mandat, le premier correspond assez bien à la description favorable que j’ai faite, et le deuxième est plus difficile.
Isabelle : Il se trouve aussi que je connaissais le premier adjoint à la maire de Paris à la voirie, je le connaissais un peu avant, et celui actuel, je ne le connaissais pas avant. C’est aussi une des raisons pour lesquelles on a eu des difficultés, je pense, parce qu’il s’est mis en tête que j’étais une horrible bonne femme de droite. Ce qui n’est pas le cas. Et c’est un gros atout, cette histoire-là, normalement, c’est un gros atout. Parce qu’en fait, en public, évidemment, et en conseil, on peut s’envoyer des choses désagréables, mais par ailleurs, on peut très bien se mettre d’accord sur les programmes et les réalisations, etc. D’autant plus que, sans vouloir me vanter, ma compétence n’est pas ignorée, disons. Et qu’elle est suffisamment réelle pour qu’on puisse tenir compte de ce que je dis. Ce qui est le cas dans l’équipe, de chez nous, d’ailleurs. Sans problème, par contre.
Victor : Mais donc, tu n’as même pas le droit de me dire que tu trouves ça chouette que Paris soit plus adapté au vélo qu’avant ?
Isabelle : Non, ce n’est pas que je ne veuille pas le dire, parce que je peux le dire, mais ce que je reproche, il y a, si tu veux, il y a l’obsession du kilométrage, et ça, je ne suis pas d’accord du tout qu’il faut vivre sur des chiffres. Ce n’est pas la mesure de la qualité, les chiffres. Ça, c’est une première chose. Ce n’est pas de la politique que je fais, c’est de la qualité dont je parle. Et deuxièmement, il y a une telle soif d’en faire plein, plein, plein, plein, plein de kilométrages de pistes cyclables bien souvent, c’est quand même un peu bâclé. Et en particulier, les points qui sont les plus difficiles dans un aménagement cyclable, réellement cyclable, au sens dédié aux cyclistes seulement, parce que, par exemple, une zone 30 ou une place piétonne, ça peut faire partie d’un réseau cyclable. Mais là, je parle donc d’aménagements que tout le monde reconnaît comme étant dédiés aux cyclistes. Les points faibles, ce sont les carrefours. Or, ceux-là ne sont jamais traités. Ou très, très mal, ou à peine. Et donc, on se retrouve à plein d’endroits où c’est la roulotte russe à chaque fois. Pour tout le monde. Alors, c’est un problème, quand même. Alors, soyons honnêtes, il y a maintenant une équipe d’ingénieurs dédiée au vélo qui est assez étoffée et avec des gens qui sont compétents. Ce qui n’était pas le cas auparavant. Il y a eu un chargé de mission. Il y a eu… Enfin, c’était très embryonnaire. Maintenant, il y a une vraie équipe qui sait se faire écouter, en plus. Donc, ça, c’est vraiment très favorable. Les pistes cyclables, en revanche, sont presque systématiquement, sauf dans le 15e, parce que je m’y oppose le plus possible, mais sinon, elles sont faites en double sens le long des voies. Et ça, c’est une hérésie totale. Et ça, je suis certaine de ce que je dis, sauf exception, bien entendu. Le long d’un chemin de fer ou d’une rivière, ça se tient. Mais dans un tissu urbain très dense, comme nous avons, avec des quantités d’intersections, ça n’est pas jouable. C’est extrêmement compliqué à gérer, et donc, on ne gère pas. Et donc, il y a des accrochages tout le temps, et on reproche aux cyclistes de ne pas respecter le code de la route, mais ça voudrait dire s’arrêter tous les 50 mètres, quasiment. Peut-être que je dis que c’est 100 mètres seulement, mais… Enfin, c’est du rajouter sur un truc qui est déjà complexe, finalement, et ça ne marche pas. Je pourrais expliquer plus en détail s’il fallait, mais là-dessus, je suis très fermement mécontente, là-dessus. Mais la première piste à double sens de Paris, c’est moi qui l’ai faite, pourtant. Ce n’est pas un dogme que j’ai. C’était le long de la Seine, à Bercy, l’entrée rive droite, et là, je leur avais dit, je sais que c’est contraire à tout ce qui est marqué dans tous les bouquins qu’on voudra, n’empêche qu’à cet endroit-là, c’est ça qu’il faut faire. Et c’est le long de la Seine, là. Il n’y a que les ponts à traverser, c’est quand même beaucoup plus simple. C’est un exemple. Donc, de ce point de vue-là, la qualité, c’est évidemment pas bon. Et puis, il y a d’autres facteurs qui rendent les choses compliquées. C’est d’abord que ça a beaucoup de succès, donc elles sont souvent déjà trop étroites. Ça, c’est un peu la rançon du succès. Mais ça veut dire aussi qu’en fait, les élus, d’une façon générale, n’agissent qu’à la cour après le succès. C’est-à-dire, le succès, il arrive, il y a plein de cyclistes pour résumer. Donc, il faut absolument faire des pistes cyclables qui entraîneront des nouveaux cyclistes, bien sûr. Il ne faut pas exagérer non plus. Et donc, tout ça, ça fait boule de neige. Mais le truc qui démarre, c’est qu’il y a des cyclistes. Et c’était le cas, notamment, pendant le Covid, où là, en urgence, ils ont fini certains aménagements parce que les cyclistes, on savait bien, etc. Donc, il y a un peu ça. Voilà. Et alors, le problème aussi, c’est que Paris est la capitale de la France. Enfin, au moins de la France. Et que donc, cette histoire de pistes à double sens, qui est une hérésie totale, j’insiste, eh bien, est copiée partout, maintenant. Ah ben, s’ils le font à Paris, c’est que c’est bien. Ben non, manque de pot, c’est pas bien. Et on est coincés. Et donc, sauf dans le 15e, alors on va nous traiter de ringards et tout ça, peut-être, mais ça, je suis certaine de ce que je dis. Et ils nous ont forcé la main complètement, en plus de ça. On en a eu une énorme, de pistes cyclables à double sens. Le Gérard, la plus longue de Paris. Et on s’est battus, monsieur le maire et moi-même, énormément, pour qu’ils la fassent que dans un sens. Et on avait 500 arguments pour ça. On n’a pas obtenu gain de cause. Et maintenant, on voit bien que nous avions raison. Ça se passe pas bien. Donc, c’est idiot d’avoir forcé la main. Mais en revanche, j’ai eu des pistes, enfin d’autres, mais il faut qu’on me pose la question, parce que sinon, voilà.
Victor : Et est-ce que depuis ta période au ministère de l’Environnement, il y a de ça 20 ans, tu te déplaces toujours en vélo à Paris, aujourd’hui ?
Isabelle : Oui. Oui, alors tiens, pour être honnête, elles sont pas de belles qualités, ces pistes, mais elles ont le mérite d’exister. Et donc, quand monsieur Tibéry, c’était donc il y a 30 ans, avait fait les premières bandes cyclables à droite de la chaussée, en décalant les autobus et tout ça, je m’étais rendu compte que tout d’un coup, sans même que je m’en rende compte, mes distances naturelles avaient doublé en longueur. Alors, c’était toujours une seule personne, mais je faisais le double de kilomètres, enfin, de distance, d’accord ? Grâce à ces aménagements qui avaient leur vertu. Il n’y a pas de problème. Avec les nouvelles pistes, etc., je n’hésite plus à aller à l’autre bout de Paris, à traverser, à aller jusqu’à Saint-Denis, au nord, parce que je l’ai fait, ou à aller jusqu’à Sceaux et même bien au-delà, ou à Villejuif, etc., des zones… Je n’hésite pas à aller en banlieue, alors qu’avant, avant, un cycliste normal, enfin, un Parisien normal, n’allait jamais en banlieue. Il n’est pas plus un cycliste qu’un autre. Et maintenant, avec les fameuses coronapistes qui subsistent, etc., ça devient… Et puis, certaines sont devenues des vraies pistes cyclables. Je n’hésite plus à aller assez loin à vélo. Et j’y vais sans forcer, sans chercher à aller vite. D’ailleurs, j’y vais tranquillement, normalement, et j’arrive au bout. Voilà. Et ça, c’est quand même très intéressant. Une fois, je me suis retrouvée comme ça, à l’autre bout de Paris, Place de la Nation, et je me suis dit, tiens, c’est déjà là. Voilà. Je n’avais pas prévu d’aller à Place de la Nation, mais là, tiens, j’y suis déjà. C’est drôlement bien.
Victor : Pour changer un petit peu de sujet, tu animes aussi un blog qui s’appelle Isabelle et le vélo, depuis déjà de nombreuses années. Et mine de rien, j’imagine que c’est quand même pas mal, le boulot. Donc, c’est quoi ton but avec ce blog ? Qu’est-ce que tu recherches, en fait ?
Isabelle : La gloire. La gloire, madame, la gloire. Non, mais c’est… C’est un peu les deux. Au début, c’était juste pour continuer à… Comme je ne travaillais plus, que j’avais un peu changé d’activité. Enfin bon, ça m’embêtait d’être oubliée complètement. Puisque je considérais quand même que j’avais fait beaucoup de choses en faveur du vélo. Je n’avais pas envie d’être oubliée si vite. Donc, en fait, c’était ça, ça, la motivation, au début. Et en réalité, ce qui se passe, c’est que j’ai la vocation de journaliste depuis toute petite fille. Et j’ai toujours été, d’une façon ou d’une autre, journaliste. Et donc, c’est ça. Je ne peux pas m’empêcher. Je vais à un événement, je dis non, je ne vais rien faire. Comme on dit, je fais, je ne fais pas. Et finalement, je fais, toujours, presque, etc. Parce que j’aime écrire. Parce que j’ai la passion de l’information, au fond. Et de l’écriture, et tout ça. Donc, voilà. C’est des… C’est donc des motivations, non pas altruistes, mais très personnelles, finalement. Et alors, en plus, évidemment, ce qui est très agréable, c’est qu’effectivement, comme il y a ma photo sur le blog, dans le milieu, je suis assez connue, maintenant. Et il arrive que je suis, par exemple, sur le bord de la Loire, à rouler, et on m’appelle de l’autre bout, de l’autre côté de la route. Ah, et on me reconnaît. Ça m’est arrivé de nombreuses fois, en France. Donc, ça, c’est plutôt sympa. Et agréable, je veux dire, en tout cas, pour moi. Évidemment.
Victor : Et ça te plaît, la vie de star ?
Isabelle : Ben oui.
Isabelle : Mais oui, ça me plaît. C’est très agréable. J’espère que je ne rajoute pas. Je ne crois pas. Mais c’est un peu une récompense, en même temps. Et élue aussi, c’est un peu une vie de star, dans un sens. Puisque beaucoup de gens, par exemple, me saluent dans la rue. Et j’ai appris qu’il fallait faire semblant de les reconnaître. Mais je ne sais pas bien qui c’est. En général, je… Enfin, il ne faut pas… Il ne faut pas le dire trop. Ils ne vont sans doute pas nous écouter, ça ira. Mais c’est agréable. Et puis, par exemple, quand on est élu et qu’il y a des événements, des spectacles, tout ça, en mairie, on a une place réservée au premier rang. Moi, j’aime bien. Je ne m’en cache pas. Je trouve ça très bien.
Victor : Ça a ses petits avantages, effectivement.
Isabelle : Les journalistes, c’est pareil. Moi, je me mets toujours au premier rang. Pour être sûr d’entendre et pouvoir faire des photos. Mais bon. Et aussi, pour attraper l’intervenant, s’il faut, juste à la fin. Si j’ai des questions à lui poser.
Victor : Dernière question pour conclure cet épisode. J’en avais un tout petit peu parlé quand j’avais fait ta présentation lors du premier épisode qu’on a fait ensemble. C’est ta passion pour le vélo. Elle tire son origine d’une période de ta vie. Et je trouvais, quand tu m’avais raconté ça, je trouvais ça assez chouette. Donc, est-ce que tu accepterais d’en parler un petit peu ?
Isabelle : Oui, parce que c’est fort. C’est des choses émotives. Donc, c’est fort. J’étais d’une famille prudente, disons. Prudente avec les enfants et avec la vie. Et j’étais l’aînée et j’étais une fille. Tout ça conjugué n’était pas très favorable à l’épanouissement ni aux aventures. Et donc, je ne sais pas comment ça se fait que je faisais ce que je vais vous dire maintenant. Je ne le sais pas du tout pourquoi ils m’autorisaient à le faire. Mais en tout cas, quand j’étais en classe de première, j’allais presque tous les soirs sur mon vélo faire un tour en forêt. Et j’y allais principalement pour le silence. Principalement pour entendre la forêt se coucher, en gros. Et les oiseaux s’arrêter de chanter, tout ça, quoi. J’y allais pour ça. Et puis, ça s’est arrêté brutalement quand l’envahissement automobile a démarré. Il y avait une bagnole qui est passée là et qui a strié le silence de son moteur comme une voiture de course, un peu. Enfin, c’était effroyable. Et ça s’est arrêté là parce que ça n’avait plus aucun sens, plus aucun intérêt à partir de ce moment-là. Voilà. Donc, c’est un souvenir qui n’est pas gravé en moi, mais qui m’habite, en tout cas. Toujours. Et qui… Ben oui. Ma passion pour le vélo, elle est venue un peu de ça. Et ensuite, il y a eu des étapes. Mon vélo, mon frère me l’a emprunté un jour. Évidemment, il s’est passé ce qui s’est passé, c’est-à-dire qu’on l’a eu à voler. C’est un grand classique dans les familles. Donc, je me suis retrouvée sans vélo. Mais moi, je suis partie après à Rouen faire mes études. Et puis, j’ai eu une période de chômage. Il fallait aller pointer une fois par semaine à ce moment-là. Et là, je me suis rendue compte que j’habitais près de la NPE, mais trop loin pour y aller à pied. C’était pénible à pied. C’était trop loin. Et tout d’un coup, je me suis souvenue que normalement, j’avais un vélo. Et donc, j’ai acheté mon premier vélo de ville à ce moment-là. Et puis, je pars en voyage à vélo avec deux amis, garçons. Et j’étais toujours derrière. Et ça, c’était quand même pas normal du tout, à mes yeux. Et en fait, c’est parce qu’eux, ils avaient des vélos de garçons et moi, j’avais un vélo de fille. Et c’est très clair. Et donc, à ce moment-là, j’ai décidé que je m’achèterais un vélo pour la vie. Et donc, j’ai mis longtemps à calculer tout ce qu’il fallait, renseigner, de questionner, etc. Et je l’ai fait monter pour moi. Et ça a été un vélo avec qui j’ai été amie pendant 35 ans. Jusqu’au jour où un mécanicien maladroit m’a tout bousillé. Il y a eu des malheurs. Il est passé à l’hôpital et on l’a tué, en gros. Donc ça, c’est cruel. Mais en même temps, ça m’a donné l’occasion de passer à une autre étape dans l’amour du vélo. C’est-à-dire que je me suis fait faire un vélo sur mesure. Ça, c’était un vieux rêve aussi. Voilà. Alors, c’est comme un deuxième mari. C’est pas le même genre d’amour. C’est sûr. Mais quand même, ça va. Mais le vélo, c’est ça. Tous les gens qui aiment le vélo parlent de leur… Quand c’est les hommes, ils parlent de leur vélo comme de leur femme. Tous. Tous ceux qui sont vraiment profondément amoureux du vélo, c’est comme ça. Et moi, c’est évident. Quand je pense au premier, je pleure. Voilà, c’est clair.
Victor : Écoute, je vous propose que sur ces belles paroles, on conclue cet épisode. Que tu te mettes à pleurer.
Isabelle : C’est marrant, la vie des cyclistes. C’est fort, l’émotion qu’on a avec le vélo. Et dans toute la littérature, ça se voit dès le début. C’est un truc très fort. Que les gens en vélo électrique n’auront jamais.
Victor : Voilà, petit message. Si vous voulez vivre des émotions fortes sur un vélo, enlevez votre batterie.
Isabelle : Mariez-vous avec un vélo.
Victor : Ouais. Écoute, je trouve que c’est une belle conclusion à ce troisième épisode enregistré ensemble. Encore une fois, merci énormément d’être venu sur le podcast. Ça m’a fait très plaisir de te recevoir parce que je pense qu’il n’y a pas beaucoup de personnes que j’aurais pu recevoir qui avaient une histoire aussi longue avec le vélo. Merci d’avoir partagé tout ça sur Vélotaf et bonne continuation.
Isabelle : Avec plaisir.