#56 – Comment convaincre les élus de développer le réseau cyclable ?

On retrouve à nouveau Stein van Oosteren, attaché diplomatique à la délégation permanente des Pays-Bas auprès de l’UNESCO, et auteur du livre “Pourquoi pas le vélo? Envie d’une France cyclable”.

Dans cet épisode, Stein revient pour nous éclairer sur une question cruciale : comment convaincre les élus d’adopter et de promouvoir les infrastructures cyclables.

Fort de ses expériences en négociation avec les élus, Stein partage avec nous ses précieuses méthodes pour les rallier à la cause du vélo.

N’hésitez pas à lire son livre “Pourquoi pas le vélo ? Envie d’une France cyclable” pour approfondir le sujet !  https://ecosociete.org/livres/pourquoi-pas-le-velo-fr

Bon épisode !

Pour contacter notre invité, c’est par ici : ⁠https://www.linkedin.com/in/stein-van-oosteren-39b13411⁠ et pour lire son livre : ⁠https://ecosociete.org/livres/pourquoi-pas-le-velo-fr⁠ !

Ce que vous apprendrez dans cet épisode :

  1. 00:00:53 – Retour de Stein sur le podcast : Convaincre les élus pour la mobilité douce
  2. 00:01:43 – Les multiples bénéfices du vélo pour les élus
  3. 00:05:31 – Importance de convaincre les élus : Ils sont pro-électeurs
  4. 00:07:10 – Convaincre les concitoyens des bienfaits du vélo
  5. 00:08:58 – Le projet RERV : Naissance et objectifs
  6. 00:15:32 – L’implication cruciale des élus locaux
  7. 00:18:15 – Comparaison des coûts : infrastructure vélo vs infrastructure voiture
  8. 00:18:34 – Rendre le vélo accessible aux seniors et aux différentes populations
  9. 00:24:30 – Techniques et conseils pour discuter avec les élus

Restez connectés au podcast Vélotaf, la suite de notre conversation avec Stein revient dans quelques semaines. A la semaine prochaine pour un(e) nouvel(le) invité(e) !

Quelques citations pour vous mettre l’eau à la bouche !

« Le vélo est un moyen très simple pour répondre à des problèmes très complexes. »

« Les élus ne sont pas anti-vélo. Ils sont pro-électeurs. »

« Notre esprit croit que la seule réalité, c’est l’ici et maintenant, mais non, ce qui est devant nos yeux peut être complètement différent demain. »

Grâce à ⁠⁠⁠⁠⁠Autoscript.fr⁠⁠⁠⁠⁠, je vous propose de retrouver la transcription de notre échange.

Ce podcast animé par ⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠Victor Blanchard⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠ est proposé par Bleen, et vous accompagne dans votre démarche pour vous mettre ou pérenniser votre pratique du Vélotaf.

Retrouvez Bleen sur les réseaux : ⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠Facebook⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠ ⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠⁠Linkedin⁠

Victor : Bonjour Stein, merci d’être de retour sur le podcast Vélotaf. Pour celles et ceux qui nous écoutent et qui ne savent pas qui tu es, je les invite à aller écouter le premier épisode qu’on a fait avec toi sur comment convertir un pays au vélo, la France en l’occurrence. Et un peu, on avait discuté du modèle hollandais, l’exemple. Des Pays-Bas qui étaient passés d’un pays de bagnole à un pays de vélo. Aujourd’hui, on va parler d’un autre sujet qui est comment convaincre les élus. Puisque, comme tu l’expliques d’ailleurs dans ce premier épisode qu’on a fait avec toi, c’est crucial de les convaincre, de les embarquer dans ce projet de convertir nos routes à la mobilité douce et au vélo. Et donc, peut-être pour commencer, une première question. Je vais un petit peu t’y répondre, mais tu en as sûr plus de détails que moi. Pourquoi convaincre les élus ? Et puis, quelle importance ça a ? 

  

Stein : Le vélo est un moyen très simple pour répondre à des problèmes très complexes. Le vélo, c’est une partie de la solution à des gros problèmes que les élus doivent gérer. Il y en a beaucoup. Par exemple, crise économique. Il faut toujours penser aux problèmes qu’ont les élus. Il ne faut pas dire, moi je veux du vélo, ce n’est pas intéressant. Il faut dire, moi j’ai une solution pour votre problème. Et son problème, c’est qu’il y a des crises économiques. Si les gens n’ont plus d’argent, il se trouve que le vélo, c’est un moyen de transformer. C’est un transport gratuit, accessible à tout le monde. On n’a plus besoin de créer, par exemple, le ramassage scolaire qui coûte des milliards à fond perdu tous les jours. On fait rouler des bus, on brûle du pétrole. Alors qu’on peut utiliser cet argent une bonne fois pour toutes pour créer un réseau de transport sur lequel trois enfants sur quatre peuvent se déplacer à vélo à l’école. Et en plus, ils aiment ça. Voilà, c’est des choses aussi simples. Et même à la campagne. Parce que 88% des… des écoliers français habitent à moins de huit minutes à vélo de leur école. Voilà, il y en a toujours qui auront besoin des bus, mais ça va être très, très minoritaire. Ça, c’est juste un exemple des problèmes d’accès à l’emploi. En France, une offre d’emploi sur quatre est refusée faute de moyens de mobilité. Le vélo, c’est un mode de transport qui est accessible à tout le monde. On a un problème climatique, n’est-ce pas ? Voilà, donc il faut qu’on réduise beaucoup nos émissions, surtout dans le secteur de la mobilité, sachant que 30% en fait des gaz à effet de serre viennent de ce secteur-là et c’est le seul secteur qui ne baisse pas. Au contraire, elle continue de monter. On a des problèmes même d’insécurité. L’insécurité routière, ça coûte 50 milliards d’euros par an, alors que les radars n’en rapportent qu’un milliard. Mais voilà, on tue beaucoup de gens avec ça. Alors que, ben, quand vous mettez du vélo dans votre… dans votre ville, vous réduisez l’insécurité. C’est contrairement à ce que les gens pensent, parce qu’ils disent « Ah, le vélo, c’est très dangereux ! » Mais non, en fait, c’est très bon. Donc, c’est une solution. Les seniors, on assiste à un vieillissement de la population en France. Les gens, de quoi meurent-ils ? Ils meurent d’ennuis et de solitude. Ils ont besoin de sortir, ils ont besoin d’utiliser leur corps. C’est eux qui ont besoin, justement, d’utiliser leur corps. Ben, le vélo, c’est un mode, c’est un moyen et de les sortir, de les sortir de leur isolement et, en plus, de sortir de la solitude. On a un problème de densité, en fait. La densité, la densification de nos villes, c’est une solution, une partie de la solution, aussi, au réchauffement climatique, parce que c’est plus efficace. Par contre, quand vous créez plus de logements au même endroit, dans une ville, ben, ça veut dire que vous avez plus de monde dans le même espace urbain. Et donc, ça veut dire qu’il faut utiliser moins d’espace par personne pour se déplacer. En d’autres termes, on ne peut plus continuer à se déplacer tous dans une voiture individuelle qui mobilise 12,5 mètres carrés au sol quand à l’arrêt et 140 mètres carrés quand il roule à 50 km heure. C’est gigantesque quand on tient compte de l’espace, de sécurité, etc. Et donc, là, encore une fois, le vélo, ben, il se trouve que c’est un mode de transport très, très efficace et très discret, mais qui est une solution à ces problèmes-là. Et c’est ça qui, une fois que vous prenez du recul, vous vous rendez compte, ben, en fait, le vélo, c’est un mode de transport très, très efficace. Le vélo, c’est pas juste un truc pour la balade du dimanche, mais c’est une solution aux problèmes que je suis en train de résoudre. 

  

Victor : Donc, effectivement, toi, tu conseilles de présenter le vélo comme une solution à plein d’autres problèmes que les élus rencontrent, en fait. Oui. Ben, en fait, ça répond à l’autre question que j’avais aussi, qui était de comment convaincre les élus. Donc, manifestement, c’est la bonne approche. 

  

Stein : Pardon, je peux juste rajouter comment les convaincre. En fait, il faut se dire qu’il n’y a pas d’élus anti-vélo. Les élus ne sont pas anti-vélo. Ils sont pro-électeurs. Les élus ne veulent qu’une chose, c’est que leurs administrés soient contents. Et donc, pour ça, ils ont besoin de savoir ce qu’ils veulent. Et si leurs administrés disent « Je veux une ville apaisée, durable, inclusive, où l’économie marche bien, où je respire un air bon », ben, dans ce cas-là, si vous dites ça à l’élu et vous expliquez que le vélo, c’est une solution que je veux, ben là, il va le mettre en place. Le maire… Donc, le plus anti-vélo qu’on pourrait imaginer va tout de suite dérouler un pal éthique vélo si tout le monde lui demande du vélo. Voilà, c’est aussi simple que ça. Donc, il faut convaincre un élu. Ça se fait en s’organisant, en exprimant une demande qui est organisée. Et c’est ce que la FUB a fait, la Fédération des usagers de la bicyclette, en lançant le baromètre des villes cyclables, qui est en ligne et qui dit très précisément, pour chaque ville, ce que veulent les citoyens. Et donc, ça, c’est une demande, l’expression d’un besoin que l’élu va prendre au sérieux. Et donc, alors que si vous restez seul et vous dites juste, voilà, je voudrais que ça change, ça ne va pas changer. Il faut vous associer, aller dans des associations pour rencontrer le maire ou la mère, pour travailler sur des solutions, pour travailler sur un autre plan de circulation, pour travailler sur un plan vélo. Et c’est comme ça que vous pouvez convaincre l’élu en étant un interlocuteur de qualité qui a une vision de l’avenir et qui est prêt à travailler sur un plan vélo. Et donc, vous pouvez travailler avec lui ou avec elle pour une ville différente. 

  

Victor : Et du coup, si j’en crois ce que tu dis, si le maire et les élus sont pro-électeurs, la première étape, c’est donc de convaincre aussi ses concitoyens des bienfaits du vélo, non ? 

  

Stein : Tout à fait. C’est pour ça que sert ce podcast. C’est de permettre aux gens de se rendre compte que le vélo, c’est un très gros sujet. Je ne savais pas, quand j’ai commencé à m’intéresser au sujet en 2016. J’ai grandi aux Pays-Bas, où tout le monde se déplace, à vélo, et on parle autant de vélo que de chaussures, par exemple. En France, on ne parle pas des chaussures. Pourtant, sans chaussures, personne ne pourrait marcher. Et personne n’est en train de dire « Waouh, mais des chaussures, c’est super, ils font plein de chaussures. » Non, ça existe déjà. On a des magasins de chaussures, c’est une évidence. Le vélo, aux Pays-Bas, est arrivé au même niveau. En France, on vient de découvrir la chaussure. La chaussure a deux roues. Et donc, il faut générer ce débat parce que pour changer le monde, ça commence toujours par une conversation. Et aujourd’hui, nous avons cette conversation qui aide à convaincre, qui aide à se familiariser avec ce sujet qui est très complexe. Le vélo, contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est un sujet extrêmement complexe. C’est un sujet qui touche à plein de sujets différents, même à l’égalité des genres, à l’injustice, à l’économie, à l’écologie, à notre manière de vivre, en fait. Et donc, il faut prendre du temps pour ça. Merci de m’inviter pour ce podcast, pour y contribuer. 

  

Victor : Avec grand plaisir. Tu viens très bien de résumer pourquoi, moi, j’ai décidé de me lancer dans ce podcast sur le vélo. C’est qu’effectivement, ce n’est pas juste un moyen de déplacement. En fait, ça fait référence à notre rapport au temps, à l’espace. On peut parler d’écologie, d’inégalité, de plein de choses. Donc, c’est pour ça que je trouve ça super intéressant. Et donc, dans ce sujet de convaincre les élus, j’aimerais qu’on détaille un peu l’exemple du RERV pour RER Vélo. Parce qu’il me semble que tu as été impliqué sur le sujet avec le collectif Vélo Île-de-France, dont tu es porte-parole, si je ne dis pas de bêtises. Donc, est-ce que tu peux nous parler un peu de ce projet-là, s’il te plaît ? 

  

Stein : Oui, c’est un projet. J’ai été porte-parole du collectif Vélo Île-de-France depuis l’origine, le 15 mars 2019, jusqu’en mai 2022. Mais je suis toujours très impliqué. Je suis toujours membre du comité d’animation. Et voilà, c’est la grande famille des cyclistes en Île-de-France. Alors, le projet RERV, c’est quelque chose d’extraordinaire. Quand on a créé le collectif Vélo Île-de-France, qui est l’interlocuteur unique pour le vélo en France, on n’a plus une myriade d’associations. On a aussi le collectif qui les représente toutes. Et on s’est dit, ça y est, on existe. Comment faire maintenant pour rendre cette région cyclable ? Et on s’est dit, on a fait un petit exercice classique avec des post-it, je m’en souviens toujours, avec des petits post-it bleus, qu’on a collés sur une feuille pour se dire, qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? Et il y avait un endroit où il y avait beaucoup, beaucoup, beaucoup de post-it. Et c’était, il y avait écrit dessus, Réseau Vélo. En fait, on se rendait compte que le Réseau Vélo, entre guillemets, qui existe en Île-de-France, c’étaient des confettis. C’était de petits bouts, en fait. Donc, on n’avait pas de réseau. Et donc, on a décidé de dessiner ce réseau. Et pendant neuf mois, entre mars 2019 et mars 2020, on a dessiné, nous, les citoyens, des pistes cyclables en Île-de-France. Et on est arrivé à une solution, en fait, à un dessin de neuf pistes cyclables, dont deux le long de la Seine et de la Marne. Pourquoi ? Parce que les cours d’eau sont continus et plats. Donc, c’est très propice au vélo, dont deux circulaires, parce qu’on a la petite couronne et la grande couronne, un peu comme l’A86 et le boulevard des Maréchaux, un peu l’équivalent, parce que le vélo, c’est comme la voiture, c’est un mode de transport. Et puis, on a cinq radiales. Et quand on a fini ce travail, c’était en mars 2020, on s’est dit, maintenant, il faut qu’on aille voir les politiques pour qu’ils l’achètent, pour qu’on puisse le mettre en œuvre. Et j’étais responsable de la communication du collectif Vélo Île-de France, et j’avais lancé sur Twitter, sur X, ça s’appelle maintenant, une compétition pour inventer le nom de ce réseau. Et il y a une personne, Josée Lemoyne, de MDB Massy, qui avait suggéré le nom RERV. De vélo. Et en fait, on a choisi ce nom-là, pourquoi ? Parce que le RER, c’est juste trois lettres, mais tous les Français, toutes les Françaises savent immédiatement ce que c’est. Ils savent que c’est un réseau de transport. C’est pas une piste pour la balade du dimanche après-midi, mais c’est un réseau de transport pour aller de A à B. Et on s’est dit, si on fait ça, pourquoi ne pas aller plus loin dans cette démarche et dessiner le réseau sous forme du RER ? Et c’est ce qu’on a fait. On a traduit, on a dessiné ces neuf puits cyclables comme le RER tel qu’on le connaît, donc avec cinq lignes colorées, avec une ligne A rouge entre l’Est et l’Ouest, une ligne B bleue entre le Nord et le Sud, et ensuite ces pistes des fleuves, Seine et Marne, et puis les deux pistes circulaires, la Grande et la Petite Ceinture. Et ensuite, on est allé voir les politiques, et c’est là qu’il y a eu un choc qui est arrivé, le Covid. La crise, la pandémie. Le 17 mars, tout d’un coup, tout le monde était chez soi, comme des idiots. Et on savait que le 11 mai, la France allait redevenir mobile. Et on savait aussi que les transports en commun, qui sont habituellement, qui acheminent beaucoup de monde, ne pouvaient pas être utilisés à pleine capacité, mais seulement à hauteur de 20%, parce qu’il fallait de l’espace autour de tout le monde. Il fallait une distanciation physique, comme on disait. Et donc, les pouvoirs publics avaient besoin d’une solution de transport, miraculeuse, qui permettent de transporter beaucoup de monde, mais en respectant une distanciation physique autour de la personne. Et la voiture n’est pas une solution, parce que déjà, en temps normal, il y a 200 kilomètres de bouchons, voire plus, tous les jours. Et donc, le vélo était comme la solution miracle qui était tombée du ciel, en quelque sorte. Et c’est là que Valérie Pécresse, la présidente de la région Île-de-France, a dit « Votre projet RERV, je l’achète et je vous donne 300 millions d’euros. » Et c’est à ce moment-là que hum, c’était le 21 avril 2020, elle a, c’était dans la presse, « Je vous l’achète et on va le mettre en œuvre. » Et c’est donc incroyable, c’est les citoyens qui ont imaginé un réseau cyclable pour une région, et c’est les pouvoirs publics qui l’achètent. Et à partir de ce moment-là, le collectif Vélo Ile-de-France, les citoyens, et la région, politiquement, ont commencé à travailler la main dans la main pour réaliser ce réseau. Et on l’a, en fait, en attendant, ce réseau a changé de nom, parce que la région, elle est maintenant le VIF, le Réseau Vélo Ile-de-France. Et en fait, là, pendant qu’on se parle, c’est un moment assez émouvant, parce qu’hier, le premier tronçon a été livré en Marne et Gondoire. C’est un premier tronçon avec une signalisation, avec des vrais panneaux, comme pour les voitures. Ça a été livré, ça a été inauguré par Valérie Pécresse et par Louis Bel-enfant, qui est le directeur du collectif Vélo Ile-de-France, et qui a, qui a permis de créer ce collectif. Et donc, ça veut dire que ce projet citoyen que nous avons inventé sans que personne nous le demande, est devenu la réalité aujourd’hui en Ile-de-France et pendant les cinq années qui vont continuer, parce qu’en 2030, ce réseau doit être terminé, nous allons continuer à travailler main dans la main avec la région, mais aussi avec les élus locaux pour que ce projet, le VIF, puisse voir le jour et mon message aux personnes qui nous écoutent, c’est parler à votre maire pour lui demander de soutenir ce projet, parce que sans le soutien des politiques locaux, ça ne peut pas voir le jour parce que Valérie Pécresse n’a pas de compétences pour la route, elle peut être juste la coordonnatrice et la co-financeuse de ce projet. Donc, parlez à votre maire et dites-lui, en fait, demandez-lui de soutenir ce projet.  

  

Victor : Ok. Donc, oui, l’implication des élus locaux est hyper importante également, en fait. Extraordinaire. C’est vraiment important. Je ne me rends pas du tout compte. 300 millions d’euros, c’est suffisant pour faire un bon vélo ou ce n’est pas assez ? 

  

Stein : C’est ça qui est très intéressant. Oui, c’est suffisant parce qu’en fait, quasiment, parce qu’on a chiffré le projet à 650 kilomètres pour 800 000 euros le kilomètre. C’est ça que coûte une piste cyclable à haut niveau de service en milieu dense. C’est un peu technique ce que je dis, mais si vous voulez une piste cyclable vraiment de qualité, ce n’est pas juste couler un petit peu de béton. Il y a beaucoup de caractéristiques qui entrent en jeu. Et donc, le projet total s’élevait à 500 millions d’euros. Donc, Valérie Pécresse a mis sur table plus de la moitié, mais elle a dit à condition que les élus locaux et aussi les départements et aussi la métropole y mettent du sien. Et c’est ça qui est en train de se faire, le montage économique pour que tout le monde puisse y participer. Et pour montrer à quel point c’est peu pour beaucoup, quand on prend n’importe quel projet de contournement, 25 kilomètres d’autoroute à Strasbourg, par exemple, le projet de contournement, j’ai mentionné ça dans mon livre, ça a coûté 425 millions d’euros. Et là, vous avez la même somme d’argent, la même grandeur, d’ordre de grandeur, pour littéralement quelques kilomètres d’autoroute qui ne vont servir à pas grand-chose parce que ça ne va que créer un appel d’air pour que d’autres gens vont se mettre dans la voiture alors que dans d’autres circonstances, ils seraient mis dans les transports en commun ou sur les routes ou sur les vélos. Donc c’est, en fait, c’est un choix vers quoi vous voulez flécher notre argent ? Vers des subventions pétrolières et des routes ou vers des alternatives à la voiture ? En fait, on ne parle pas de vélo, on parle d’un choix de société, on parle d’un choix de liberté. Est-ce que vous voulez que les gens soient libres ? N’oubliez pas que la voiture, c’est une invention merveilleuse, mais malheureusement, elle n’est utilisée que par une petite partie des personnes. Il faut avoir 18 ans. Donc déjà, les 20% de la population qui n’a pas 18 ans, ils sont exclus. Donc un enfant doit rester sur la banquette arrière de la voiture, de ses parents ou dans le bus et être trimballé comme un petit colis, un petit légume, comme je dis dans mon livre. Les personnes âgées, au-delà de 65 ans, souvent, à la fin de leur vie, ils ne conduisent plus. Est-ce qu’on va les mettre dans des cars, pour autant, ou est-ce qu’on va leur donner ce dont ils ont besoin, c’est-à-dire bouger, marcher, pédaler ? Justement, aux Pays-Bas, le groupe d’adultes le plus grand qui se déplace à vélo ce sont les seniors entre 65 et 75 ans. Donc voilà, c’est un choix de ville et de vie qu’on discute là. 

  

Victor : Oui, c’est hyper intéressant cette statistique sur les Pays-Bas parce que, même moi, j’ai cette image de me dire « Ah oui, effectivement, au-delà d’un certain âge, le vélo, c’était un peu dangereux. » Ceci dit, si on n’est plus trop en mesure de faire du vélo, je ne sais pas si on est plus en mesure que ça de conduire de façon safe aussi. 

  

Stein : On a un problème avec la perception du temps. Parce qu’on me répond souvent « Ah ben oui, mais on ne va quand même pas mettre mamie et papy sur un vélo. » Mais on ne va pas mettre les papys et les mamies de France aujourd’hui tout de suite sur un vélo. Par contre, on peut dès aujourd’hui commencer à créer une France où les papys et mamies demain pourront essayer le vélo et se rendre compte que c’est très bien pour eux. Pourquoi ? Parce que faire du vélo, c’est plus facile que marcher parce que votre poids ne repose pas sur vos articulations. Vous faites moins d’efforts pour faire beaucoup plus de kilomètres. C’est beaucoup mieux pour des personnes âgées. Et donc ça, c’est comme… Il faut juste imaginer, il faut accepter que la ville peut être différente demain. Et notre esprit n’est pas câblé pour ça. Notre esprit croit que la seule réalité, c’est l’ici et maintenant c’est le hic et nunc. C’est ce qui est devant nos yeux. Mais non, ce qui est devant nos yeux, c’est juste le présent qui peut être complètement différent demain et c’est ce que Paris est en train de montrer par exemple en créant le réseau Express Vélo. 

  

Victor : C’est encore un biais cognitif qui fait qu’on a au niveau prospectif, on a beaucoup de mal à concevoir le futur parce qu’on raisonne avec des outils et une conception du présent en fait. Pour en revenir un petit peu aussi à notre question de départ de comment convaincre les élus, toi j’ai vu que tu avais pas mal d’expérience dans les négociations et les relations avec les élus. Donc est-ce que tu pourrais nous donner des exemples un petit peu de comment ça se passe ?   

Stein : Oui. En fait, pour gérer ce sujet, il faut être bien informé en tant que citoyen. Et au début, je ne savais rien et je me laissais donc mener par, par le bout du nez. Ça a changé parce que maintenant je comprends comme les élus, même mieux que certains parce que je reste alors que les élus changent souvent. Et voilà, pour donner un exemple, souvent, ce que font les élus quand ils changent une route, ils envoient une lettre juste aux riverains. Et comme si, ils disent on va changer la route, qu’est-ce que vous voulez ? Mais les riverains, qu’est-ce qu’ils veulent ? Ils veulent garder leur place de stationnement. Donc c’est 20 personnes qui vont décider pour toute la région comment on va utiliser l’espace dans cette rue comme si la rue leur appartenait. Mais c’est incroyable parce qu’une rue, ça transporte, ça peut transporter des milliers de personnes. Ça s’appelle du clientélisme. Et ça, il faut vraiment lutter contre ça. Il faut accepter que l’ensemble des citoyens soient impliqués dans des discussions sur la réfection d’une route parce qu’elle a des conséquences pour la ville entière. Tout le monde y passe. Ça, c’est déjà une chose. Souvent, ce que font les élus aussi, c’est qu’en fait, ils se dédouanent. Ils se disent « Ah, mais ce n’est pas moi, c’est le département. » Ou « Ah, ce n’est pas moi, c’est la collectivité. » « C’est la métropole. » « C’est le territoire. » Et ils appellent ça la mosaïque des compétences. Et moi, ça ne me plaît pas beaucoup parce qu’en fait, en réalité, ces mêmes élus sont représentés dans ces autres instances. Donc en fait, ils changent juste de tête. Ils mettent un autre masque, une autre casquette pour dire « Ah, je ne peux rien faire. » Alors qu’un maire, par exemple, il est aussi souvent vice-président du département. Donc il sait très bien qu’il peut changer les choses. Il doit même le faire parce que les maires nous représentent dans ces instances. Donc si le maire demande au département « S’il vous plaît, faites un effort pour le vélo. » Le département va le faire. Mais il fait comme si ce n’était pas le cas. Et ça, c’est très pernicieux. Et donc, en tant que citoyen, quand un maire vous dit ça, ce n’est pas moi. Dans ce cas-là, ça veut dire que le maire n’a pas envie de vous aider. Il n’a pas envie de vous représenter. Et ça, ce n’est vraiment pas bien. Il faut lutter contre ça. Je me souviens aussi d’un maire qui disait, quand il a proposé un projet pour une piste cyclable qui était interrompu à un moment donné parce qu’on ne trouvait pas de place, soit disant. Et il expliquait aux riverains ou aux citoyens qui étaient dans cette réunion en disant « C’est un bon compromis. Mais non. On ne peut pas… Est-ce qu’un maire oserait dire aux autres maires aux automobilistes qu’il n’y a pas de place Désolé, je vous propose une route avec des gros trous dedans mais vous pouvez quand même rouler dans un sens. C’est un bon compromis. Mais non. Les automobilistes n’accepteraient jamais ça. Mais c’est pareil quand on crée une ligne de chemin de fer. On ne va pas dire qu’on laisse quelques trous dedans. C’est parce qu’on ne trouve pas de place ou on fait un chemin juste dans un seul sens. Non, ce serait inacceptable. Pour les piétons, pareil. On ne va pas les jeter sur la route en disant « Ah, on ne trouve plus de place pour les piétons. » On trouve toujours une solution. Et donc, ce n’est pas acceptable. Alors que la phrase, elle sonne très sympathique. C’est un bon compromis. Je suis un bon père de famille. Je m’occupe de tout le monde. Ben non. Et justement, en ce qui concerne « je m’occupe de tout le monde », le maire, souvent, il dit « Ah, mais vous savez, moi, je dois m’occuper de tout le monde. » Ce qui est vrai. Et ils arrivent donc à dire « Je comprends bien que le vélo, c’est très important. Mais vous savez, la même personne, dans la même journée, peut être piéton, cycliste ou automobiliste. Mais moi, je tire la conclusion inverse de ce constat. J’ai dit « Justement, comme la même personne peut être cycliste, piéton et automobiliste dans la même journée, ça veut dire qu’il faut aussi penser à la sécurité pour le moment où il sera à vélo. » Et ça, en fait, c’est un jeu de mots. Ce sont des techniques qui permettent de faire croire aux gens qu’en fait, ce n’est pas possible de faire quelque chose pour le vélo. Alors qu’au contraire, ce sont des arguments pour lesquels il faut agir pour le vélo. Et c’est pour ça qu’il est important de, d’être vigilant à ce genre de sophisme. Parce qu’en fait, ce sont des techniques pour éviter que des gens demandent trop de choses, tout simplement. Et mon livre « Pourquoi pas le vélo ? » rassemble ces techniques. Ça détricote ces techniques pour montrer comment ça fonctionne, des discussions avec des élus sur le futur de son territoire. Et j’espère inspirer des gens pour être plus actifs, plus armés aussi dans des discussions sur le futur de leur ville. 

  

Victor : Oui, je trouve que cet épisode de podcast est déjà un bon petit guide pratique et aussi une bonne source d’inspiration justement pour aller parler aux élus et s’engager sur ce sujet. Et à toutes nos auditrices et auditeurs, si vous voulez vraiment creuser ce sujet, effectivement, n’hésitez pas à lire ce bouquin « Pourquoi pas le vélo ? Envie d’une France cyclable ». Il y a tout ce qu’il faut dedans pour mener ce combat. Stein, merci beaucoup d’être venu sur Vélotaf.  

 

Stein : Merci. 

co-fondateur du podcast et co-auteur du livre DEVENIR TRIATHLÈTE
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Podcasts, SwimRun, UltraRunner et Papa x 4 enfants je cours après le temps, mes passions et mes petits amours.