Dans ce nouvel épisode de podcast 🎙️, découvrons ensemble l’histoire fascinante de Priscillia Petitjean qui, armée d’une passion pour la mécanique vélo et un engagement social remarquable, a créé les Ateliers de l’Audace à Lyon. Entre réparations de deux-roues et projets d’insertion, Priscillia déploie une énergie sans faille pour contribuer à une société plus juste et solidaire. 💼🚲🔧
Un épisode riche en émotions, idées audacieuses et rires garantis avec des anecdotes qui inspirent et donnent de l’élan pour tous vos futures rides !
#Société #InsertionSociale #MécaniqueVélo #Passion #Engagement
Chapitres de l’épisode :
1. Introduction et présentation de Priscillia
2. Les débuts de Priscillia dans le monde du vélo
3. L’engagement humanitaire et l’expérience à l’étranger
4. Transition vers la mécanique cycliste
5. La réparation vélo comme vecteur d’insertion sociale
6. Création et défis des Ateliers de l’Audace
7. Vision et passion pour le vélotaf
8. Conclusion et mots de la fin
Bonne écoute !
Pour contacter notre invitée via Linkedin, c’est par ici ( https://www.linkedin.com/in/priscillia-petitjean-363a575a ) !
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Ce podcast animé par Ermanno DI MICELI est proposé par l’ONG TwoWheelTuesday (@2wteu), et vous accompagne dans votre démarche pour vous mettre ou pérenniser votre pratique du Vélotaf.
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Full Trancript
Ermanno : Bonjour à toutes et à tous, je suis très heureux d’avoir une invitée, je veux parler de Priscillia, salut Priscillia!
Priscillia : Salut Ermanno, ravi de pouvoir t’avoir enfin !
Ermanno : On l’a dit, on a mis un petit peu de temps à caler ce rendez-vous parce que tu étais prise par monts et par vents, on s’est même croisé aux rencontres vélo et territoire de Bourges au mois d’octobre dernier et on avait déjà commencé à discuter ensemble, donc c’est pour dire, on a vraiment mis longtemps à caler nos rendez-vous, mais voilà, tu es là, tu vas pouvoir nous parler de toi, tu vas pouvoir nous parler de ton projet, tu vas pouvoir nous parler de tout ce dans quoi tu es engagé et quelles sont tes convictions sur le projet, ça fait un beau programme n’est-ce pas ?
Priscillia : Je ne suis pas sûre qu’en 45 minutes on arrive à tout boucler.
Ermanno : Écoute, je te dis, enfin moi je dis toujours à mes invités une demi-heure, trois quarts d’heure, après ça dépend à quel point ils sont ou elles sont prolifiques et ils ou elles ont envie de parler.
Priscillia : Promis, j’essaierai d’être synthétique.
Ermanno : En tout cas, la première question que je pose dans ce podcast, je veux en savoir plus sur mes invités. Donc dis-moi tout, qui est Priscilia ? Petitjean.
Priscillia : Et bien, de toute évidence, c’est quelqu’un qui est très débordé au niveau de son emploi du temps. Et actuellement, je suis la directrice des ateliers de l’audace, donc c’est un atelier chantier d’insertion à Lyon. Et je crois que c’est ce qui fait 95% de mon temps, pro ou perso, donc ça peut devenir effectivement une vraie définition de mon être. Je sais qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de gens, quand on leur dit, non mais dis-moi, qu’est-ce que tu fais dans la vie et non pas uniquement quelle est ta fonction ? Ils disent, bon ben voilà, je fais du sport, je suis papa. Je suis, j’adore cuisiner. Non, moi, je crois que je suis dans le perso ou dans le pro. Je reste affiliée au projet.
Ermanno : Écoute, c’est déjà une bonne définition. Bon, en dehors de ça, on l’aura bien compris. T’es quand même une femme aussi, Priscillia, la directrice des ateliers de l’audace. On va revenir un petit peu dessus, justement, sur ce que c’est, ce que ça veut dire, qu’est-ce que ça implique, quelles sont tes convictions là-dessus. Mais tout d’abord, le podcast s’appelle Vélotaf et tu m’as posé la question en off avant qu’on commence. C’est comment est-ce que j’ai atterri dans le monde du vélo ? Je te renvoie à la question, Priscillia. Comment est-ce que tu as atterri dans le monde du vélo ? Comment as-tu découvert le vélo ? Quelle est ton histoire avec cet engin de locomotion à deux roues ?
Priscillia : Alors moi, c’était, il y avait besoin, il n’y avait pas vraiment le choix. C’est-à-dire que j’ai été indépendante très vite et que j’ai voulu travailler et faire des études très vite. Sauf que l’entreprise où j’étais en alternance était à Pusignan. Donc, j’étais dans la logistique à l’époque, le transport et donc près de l’aéroport. Et à l’époque, il n’y avait aucun moyen de transport pour y aller. Et il fallait quand même que je puisse passer mon diplôme. Donc, je n’avais pas de permis, pas de voiture. Donc, j’ai acheté un vélo. Donc, avec mes maigres revenus, mon vélo m’avait coûté 40 euros. Je l’avais acheté au marché. C’était une vieille randonneuse gitane avec spécialité une petite fourche creuse. C’était cool. Mais par contre, pour faire 40 km par jour aller-retour, au bout de 2 ou 3 jours, elle m’a suggéré d’y aller toute seule. Et très vite, elle est tombée en panne en fait. C’est-à-dire qu’elle ne tenait pas. C’était un vélo qui avait 60 ans, qui avait été rafistolé de ci, de là. Donc, il a fallu commencer à le réparer. J’ai eu tout le monde. Comme tout le monde, je suis allée à Décathlon comme réflexe pour faire une réparation. Sauf que là, ils m’ont annoncé un prix qui faisait 2…
Ermanno : Là, tu t’es rendu compte que ça te coûtait 4 fois le prix de ton vélo ?
Priscillia : Déjà. Et au-delà de ça, c’est qu’ils allaient m’immobiliser mon vélo pendant 2 à 3 semaines. Sauf que moi, s’ils m’immobilisent mon vélo, en fait, ce n’est pas comme chez les garagistes où vous avez le droit à un véhicule de courtoisie. Ils vous laissent vous dire, écoutez, vous nous lâchez votre vélo et puis vous vous débrouillez. Donc, en fait, il fallait que je trouve des solutions express et peu coûteuses. Donc, en fait, mes 10 doigts. Et j’ai commencé à faire de la réparation. Donc, forcément, à fréquenter des ateliers d’auto-réparation. Que ce soit à Grenoble avec un petit vélo dans la tête ou à Lyon, le légendaire pignon sur rue, l’atelier du recycleur. Et j’ai chopé le vélo. Le vélo, c’est un virus, tout simplement. Donc, quand on commence à comprendre ou à réaliser qu’on peut réparer quelque chose et en voir et en profiter du résultat au quotidien, c’est quand même très agréable. Surtout que je pense que je suis quelqu’un d’assez manuel initialement. Donc, voilà, ça ne gâte rien. Et par la suite, en parallèle de mes études, je faisais aussi plein de petits boulots. Et du coup, plutôt que de continuer à bosser à McDo ou d’être serveuse, à partir du moment où j’ai compris que je pouvais tenir un tournevis, je me suis tournée vers Vélov, CycloCity à Lyon pour leur dire, Hey, vous voulez… Vous n’avez pas besoin d’un mécanicien ou d’une mécanicienne. Et c’est comme ça qu’à 21 ans, j’ai obtenu mon premier contrat de mécanicienne cycle. Et pour la petite information, j’en ai 34 aujourd’hui.
Ermanno : Bon, ça fait 10 ans, quoi. Non, ça fait 13 ans.
Priscillia : Ça fait 13 ans que je bricole des vélos. Enfin, depuis mon premier contrat, en tout cas. Et depuis, je suis passée un peu par tous les métiers du cycle, que ce soit autour de la cyclo-logistique, du transport, que ce soit pour une entreprise ou au contraire pour… de l’auto-entrepreneuriat, pour ne citer personne. Et ou sinon, pour également Vélov’ et pour aussi le foyer sans-abri, dans la formation de sans-abri, jusqu’à effectivement la création des ateliers de l’audace. Donc, insertion de personnes éloignées de l’emploi via la réparation de vélos.
Ermanno : Bon, alors, on va revenir là-dessus. Moi, j’avais quand même une question. Tu nous as dit que pendant que tu faisais tes études, l’entreprise pour laquelle tu voulais travailler, elle se trouvait à 40 km. C’est comme ça que tu as découvert le vélo. Mais comment est-ce que des études que tu as pu faire, et d’ailleurs, tu vas peut-être nous dire ce que c’était comme études, tu en arrives à devenir mécanicienne vélo ? Est-ce que c’est une question de passion ? Déjà, est-ce que tes études, tu les as faites pour faire plaisir à tes parents ou pour te faire plaisir à toi ? Et comment est-ce qu’après, on en arrive à devenir mécanicienne vélo ?
Priscillia : En fait, mes études, je les ai arrêtées très, très vite parce que je n’étais absolument pas douée à l’école. Je pense que c’est un univers ultra codifié qui ne me correspondait pas forcément. Et par contre, après deux ou trois ans, j’ai arrêté les études et à juste à fait, je me suis rendue compte que je devenais un peu stupide, tout du moins que je n’avais plus d’évolution intellectuelle, ce qui, du coup, personnellement, ne me correspondait pas. Et puis, au-delà de ça, j’avais envie de vivre beaucoup plus de choses. Et j’ai compris très vite que les études, ça me permettrait de vivre beaucoup plus de choses. Donc, moi, la seule chose qui m’intéressait à ce moment-là, c’était tout ce qui était, et d’ailleurs, toujours aujourd’hui, c’est le sens humain, profondément. Ça a toujours été un peu ma boussole. Et du coup, j’ai regardé dans le guide de l’ONICEP. Quels étaient les métiers ? J’étais en lien avec l’humain. Et du coup, il y avait de l’humanitaire, ce n’était pas si loin. Et le premier métier qu’ils recherchaient, c’était des logisticiens. Donc, logisticien, logistique, BTS logistique. Et c’est comme ça que j’ai commencé à pratiquer le vélotaf, du coup, assez assidûment, et à faire des réparations pour pouvoir faire mon vélotaf. Et après, derrière, en parallèle de ce BTS, à faire des petits jobs autour de la réparation vélo pour pouvoir avoir un emploi qui corresponde à mes principes et à ce que j’aime faire. Et derrière, j’ai continué mes études toujours dans l’éthique. Voilà, parce que je ne varie pas beaucoup. Et ça a été, je suis partie en Inde, je suis partie en Afrique pour travailler. Et l’expérience que j’ai pu avoir en Afrique, en savoir en Côte d’Ivoire, juste après la guerre civile, a été assez remuante me concernant. Et je suis revenue en France en me disant, OK, on va calmer le jeu sur l’international. Et qu’est-ce qui me faisait le plus de bien ? Qu’est-ce qui m’intéressait le plus en France, c’était le vélo. Donc, je suis revenue tout doucement vers des jobs sans responsabilité pour reprendre. Après mon petit choc, je suis allée bosser avec Bicycle, qui était donc la livraison de derniers kilomètres à vélo sur Lyon, et pour lesquels j’ai été coursier à vélo. Et six mois plus tard, je crois qu’il y avait le foyer des sans-abris à Lyon qui publiait une annonce comme quoi il cherchait un mouton à cinq pattes, à savoir quelqu’un qui était capable de gérer des publics un peu difficiles de faire de la gestion de projet et également de savoir réparer des vélos, ce qui, l’air de rien, en fait, est un mélange assez peu commun, surtout à l’époque. Et forcément, j’ai tout fait pour qu’il puisse retenir mon profil. Et c’est comme ça qu’on a pu lancer l’atelier pour le foyer des sans-abris. Et après, la suite, si tu veux, on peut la continuer. Mais je crois qu’elle est un peu connue.
Ermanno : Ouais, on va la continuer. Mais je voulais revenir maintenant qu’on a fait un petit peu le… On est passé un petit peu sur ta formation. On est passé un petit peu sur ta formation. Sur tes premières expériences. Je voudrais aussi revenir sur tes expériences à l’étranger. Mais juste avant, on va rester un petit peu sur toi. Parce que tu nous as expliqué comment est-ce que tu es devenue amoureuse du vélo. Comment est-ce que tu t’es mise à pratiquer le vélo. Mais est-ce que, en termes de vélotaf, tu pratiques toujours et à quelle fréquence ?
Priscillia : Alors oui, oui, je pratique toujours autant que je peux. Je pense que vraiment le transport, le fait de se déplacer à vélo, pour moi, c’est un vrai sas entre la sphère perso et la sphère pro. Se mettre en condition ou au contraire se délasser. Et pour pouvoir laisser les choses derrière soi. Et également, le sport, pour moi, est quelque chose d’assez important dans mon quotidien. Sauf qu’ayant une vie professionnelle assez écrasante, forcément, ça prend sur les heures d’entraînement. Et du coup, faire du vélotaf, ça permet de continuer de faire du sport. Enfin, tout du moins d’avoir une dynamique physique à la semaine. Et je continue de le pratiquer du mieux possible.
Ermanno : La question qui vient après, en général, c’est pourquoi ? Pourquoi est-ce que tu as fait du vélotaf ? Est-ce que c’est lié à des convictions personnelles sur le sujet ? Est-ce que c’est lié uniquement à ce que tu nous dis ? C’est-à-dire, pour toi, ça reste le mode de transport le plus adapté ? Qu’est-ce qui fait, en fait, que tu continues encore à vélotafer ?
Priscillia : Pour moi, je pense que vraiment, aujourd’hui, il y a plein de solidités de mobilité qui sont très différentes les unes des autres. Qui peuvent avoir les mêmes valeurs. À savoir, être éco-responsable, etc. Que ce soit en prenant le bus, en faisant du covoiturage. Ou parfois même en prenant… On les accepte comme ils sont. Des trottinettes électriques, ce genre de choses-là. Bref, chacun trouve midi à sa porte. Pour ma part, c’est vraiment le sentiment de liberté qui m’anime. C’est-à-dire que je peux exactement passer où je veux, comme je veux, à chaque endroit. Me faufiler, ne pas être arrêtée, ne pas subir, ne pas avoir de contraintes. Ce qui ne veut pas dire pour autant que je roule comme une sauvage. Ou en faisant fil. Du code de la route ou de ce qui va avec. Mais uniquement de pouvoir se dire que parfois, effectivement, il y a plein de possibilités à vélo pour pouvoir retracer un itinéraire. Et que suivant les difficultés que vous rencontrez sur la route, c’est beaucoup plus facile de changer de voie, de changer de rue qu’avec une voiture. Ou souvent, quand vous êtes entre deux voitures, c’est mort, vous ne pouvez plus bouger.
Ermanno : Pour en revenir à ce terme qui m’est quand même cher, le terme de conviction. Est-ce que tu nourris aussi des convictions personnelles sur l’utilisation du vélo tout à l’heure ? Tu parlais d’éco-mobilité. Est-ce que tu utilises aussi le vélo ? Plutôt que d’utiliser la voiture ou d’autres moyens de transport ? Parce que tu trouves que c’est quelque chose de plus écologique, plus engagé ?
Priscillia : Forcément, je trouve que c’est plus engagé. Après, d’ailleurs, ce serait hypocrite de dire que c’est la raison pour laquelle je fais du vélo. Ce serait aussi pas forcément honnête. Parce que ce n’est pas forcément ce qui m’a mis au vélo aujourd’hui. Je suis très heureuse de pouvoir le dire. Mais initialement, comme je te l’ai dit, quand j’ai commencé à faire du vélotaf, c’était uniquement parce que j’en avais besoin. Et je ne me posais aucune question de responsabilité. Aujourd’hui, je fais du vélo vraiment pour le plaisir. Et du coup, c’est super que ce soit responsable. Et par contre, au niveau des convictions, je trouve que ,au niveau de notre quotidien, de tout ce qu’on fait, et pas uniquement le transport, de mettre du sens dans nos actes. Donc voilà, mes convictions, elles sont effectivement écologiques. Et elles se retrouvent dans ma consommation, dans mon mode de déplacement, dans ma façon de vivre, dans ma façon de m’engager, dans ma façon de dépenser. Enfin voilà, c’est pas uniquement que le transport. Transport, raison numéro un, je m’en tirerai jamais, c’est plutôt le plaisir.
Ermanno : Tout à l’heure, tu nous as dit que tu as eu des expériences professionnelles qui t’ont amené aussi à aller à l’étranger. L’Inde, l’Afrique. Pourquoi ? Si tu veux en parler, c’est peut-être pas forcément le sujet du podcast, mais pourquoi est-ce que ça t’a amené à l’étranger ?
Priscillia : Parce que du coup, l’humanitaire, généralement, on vous prépare à partir à l’étranger. Et que, initialement, quand je me suis lancée là-dedans, j’étais un peu verte. J’avais entre 20 et 30 ans, effectivement. Et j’étais persuadée que là, c’était le moment où ma vie trouverait le plus de sens, le plus d’utilité. Et c’était au contact des situations les plus en crise, en fait. Et forcément, c’est des continents ou des pays ou des régions qui sont souvent en proie à des problématiques autrement plus importantes que celles qu’on peut connaître en France. Et c’est ce qui exprimait le mieux mon engagement, on va dire en termes humain, à ce moment-là. C’est bien plus tard. Et en réalisant d’autres expériences que j’ai réalisé qu’en fait, il pouvait y avoir un côté très prétentieux à vouloir aller aider à l’autre bout du monde. Quand en fait, déjà en bas de chez soi, il y avait déjà du taf. Et que l’humanitaire peut avoir un vrai pendant géopolitique hyper important, stratégique, que je pense qu’il ne faut absolument pas mettre de côté. L’humanitaire de crise également est hyper important, etc. Par contre, l’humanitaire de développement, je pense, je pense que l’idéal, qui n’est pas forcément toujours possible, ce serait plus de donner les moyens à un pays ou à une communauté de se saisir des outils qu’ils ont déjà en place pour pouvoir effectivement mettre en place les projets qui leur ressemblent et qu’ils désirent. Mais ça, c’est toute une équation qui, je crois, nous dépasse un peu. Il dépasse un peu le sujet du podcast aujourd’hui. Mais voilà pourquoi je suis partie là-bas et j’y suis allée plutôt par opportunité parce qu’à chaque fois, c’est là-bas où il y avait des emplois qui m’avaient été proposés.
Ermanno : Ça peut dépasser un peu le cadre du podcast. Malgré tout, moi, ce qui m’intéresse dans le cadre de ce podcast Vélotaf aujourd’hui, c’est d’en savoir un petit peu plus sur tes expériences à l’étranger eu égard à l’utilisation du vélo. Alors en Inde, on voit souvent plein de gens sur les vélos, on voit des gens sur les pouss-pouss. Alors là, je parle en non-initié parce que je n’ai jamais mis un pied en Inde, mais c’est un peu les images d’épinal ou plutôt les images d’Inde qui nous arrivent depuis la télé ou autre. Toi qui as vécu, et notamment dans des conditions où tu faisais de l’humanitaire, ressors de cette image du vélo, de cette utilisation du vélo dans ces pays ?
Priscillia : Alors en Inde, le vélo, c’était vraiment pour les plus pauvres de chez les plus pauvres. Donc c’était souvent des personnes qui n’avaient pas eu. Donc c’est pour tout ce que tu disais, les tuktuk ou les rickshaws. Donc les ancêtres des tuktuk et des rickshaws, je pense qu’on a toutes ces images un peu coloniales en tête où tu vois des hommes qui ont des charrettes derrière eux à bras et qui tirent en courant ou au contraire, effectivement, qui pédalent sur des vélos. Ce qu’il y a, c’est que… Forcément, c’est une partie de la population qui est particulièrement fragile, et notamment financièrement. Il y en a qui ont réussi à faire le switch et à passer à des solutions motorisées. Donc avec tous les véhicules Tata, c’est une marque indienne très connue qui, du coup, en fait à la pelle des rickshaws par million. Mais par contre, il y en a d’autres qui n’ont pas eu les moyens et qui continuent, encore quand j’étais en Inde, à tracter des tonnes et des tonnes de marchandises avec des vélos qui n’ont plus d’âge. Donc l’Inde, je rappelle, c’est une colonie britannique, donc c’est des vieux vélos anglais avec vraiment le col de cygne, comme on peut l’imaginer. J’ai oublié le nom, mais ça me reviendra tout à l’heure, des vélos. Et c’était vraiment… Ça me faisait énormément de peine, en fait, parce que du coup, c’était des personnes plutôt âgées qui étaient sur ce type de transport, que ce soit transport de personnes ou transport de marchandises, et vraiment les plus déshéritées, voire en fin de vie. Donc c’était vraiment pas du tout une très bonne image du vélo. Et dans les campagnes, en fait, c’était plutôt du transport avec des buffles qui, du coup, tiraient des remorques et n’ont pas des vélos. Voilà. J’en ai pas vu, en tout cas, en milieu rural. Et en Afrique, par contre, là, l’engouement pour le vélo est tout à fait différent. C’est-à-dire qu’il y a vraiment beaucoup plus de vélos, même s’il y a beaucoup de mobilettes également. Je rappelle, la présence chinoise en Afrique est de plus en plus omniprésente, donc forcément, la culture de la mobilette également. Mais beaucoup plus de vélos. Le vélo un peu partout, c’est-à-dire dans les cocoteraies, dans la ville, en périphérie. Partout où j’ai pu aller, il y a eu des bicyclettes. Et là, par contre, c’est un petit peu… Oui, c’est l’outil du pauvre, c’est certain. C’est pas comme en France ou en Europe, où c’est considéré comme un outil de mobilité qui est facteur d’avenir. On va dire ça comme ça. Mais c’était beaucoup plus décomplexé. Voilà. En Inde, il y avait vraiment une image très négative avec le vélo. En Afrique, c’était plutôt vélo, quoi. Et j’ai fait du vélo en Afrique. Mais du coup, en Côte d’Ivoire, à Abidjan. Et autant dire que c’était remarqué et remarquable. Je crois même que c’était un peu très inconscient.
Ermanno : Pourquoi ? Parce qu’une femme sur un vélo ? Parce qu’un vélo au milieu des voitures ? Pourquoi est-ce que c’était un peu inconscient ?
Priscillia : Pour beaucoup de raisons. Déjà parce que je suis une femme. Donc déjà, les femmes, faire du vélo… Bon, je ne suis pas sûre qu’ils en aient déjà vu. En tout cas, voilà. Encore moins conduire de la voiture. Voilà, c’était la première chose. La deuxième chose, c’est une blanche. Voilà, appelons un chat un chat. Là-bas, j’étais la blanche. Et du coup, les blanches, elles se font conduire un taxi. Elles ont des chauffeurs. Mais c’est rare qu’elles conduisent. Et derrière, il faut dire la circulation à Abidjan. Pour ceux qui y sont déjà allés, c’était juste chaotique. Extrêmement dangereux. Donc, être une femme sur un vélo dans les rues d’Abidjan, je vous… Moi, quand j’y repense, ça me fait beaucoup rire. Mais je pense que ça a pu donner quelques hallucinations à certains.
Ermanno : Oui, c’est vrai. C’est dommage, en fait, qu’une femme, blanche ou pas, sur un vélo, ça détonne un petit peu. Mais après, tu n’étais pas non plus… Enfin, j’imagine que tu n’as pas eu de problème. Tu ne t’es pas fait agresser. Donc, c’est quand même un signe d’ouverture. Ça interpelle, mais tu n’as pas eu de problème particulier par rapport à ça ?
Priscillia : Non, non. Et après, en fait, je pense que la stigmatisation par la couleur de peau, voilà, dans une… Dans une ancienne colonie française, gros bastion français, juste après la guerre civile et tout ce qui va avec, où, très clairement, les slogans, c’était… Chacun son blanc. C’était… C’était une étiquette absolument… Enfin, ça aurait été, encore une fois, hypocrite de dire « Non, c’était pas ça qui remarquait. » Non, on était au-delà de ce genre de conception. Je pense que c’était vraiment, voilà, quelque chose de très marquant. Et non, je n’ai eu aucun souci. Je pense juste que j’ai eu beaucoup de gens qui me regardaient… Et que ce soit de toutes les communautés, que ce soit des expatriés, que ce soit des Libanais, des Français ou des locaux qui trouvaient que ce que je faisais n’avait absolument aucun sens. Mais déjà, à cette époque-là, on ne faisait pas encore du vélo, même pas en France. Donc, du coup, là-bas, où, clairement, pour se payer un chauffeur, c’était du menu fretin, personne ne comprenait. Mais bon, j’étais déjà un peu attaquée, je crois.
Ermanno : Bon, alors, remettons dans le contexte. C’était quelle année ?
Priscillia : C’était… Il y a peut-être une dizaine d’années, je pense.
Ermanno : Bon, c’était pas… Il y a si longtemps que ça.
Priscillia : Il y a des tas d’épices cyclables en France, il y a dix ans.
Ermanno : Non, mais de toute façon, je crois qu’en France, ce qu’il y a…
Priscillia : La part modale du vélo en France, il y a dix ans.
Ermanno : Franchement, le choc, entre guillemets, culturel avec le vélo en France, c’était quand même le Covid. On pourra dire ce qu’on veut. Ça n’a pas été forcément une super bonne période pour beaucoup de gens. Mais par contre, pour le vélo, ça a été un gros déclencheur.
Priscillia : Ah oui, mais de toute façon, ça s’est fait partie des sciences comportementales. Je suis désolée, j’éteins un peu ma silence, mais en fait, c’est un sujet qui me passionne. Pardon, la culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale. Mais très clairement, pour changer de nos habitudes, ça a été prouvé qu’en fait, dans la vie, on a vraiment besoin d’avoir un choc hyper important. Et généralement, c’est soit les déménagements qui font qu’on prend de nouvelles habitudes. C’est pas pour rien que les gens, ils prennent des bonnes résolutions au premier de l’an ou à la rentrée. C’est parce que c’est des marqueurs temporels qui sont hyper forts. Et c’est certain que ce Covid a été un gros élément de changement pour énormément de personnes. Et voilà, il y a des études à… L’université Gustave Eiffel à Abron, auprès de Frédéric Martinez, que je salue, qui, je pense, pour renseigner les personnes qui s’intéressent sur les changements de comportement et le niveau de la mobilité et des transports, pourront être une sacrée mine d’or.
Ermanno : Après, même si j’ai confiance dans l’homme avec un grand H, et pas l’homme les personnes de sexe masculine, j’ai quand même un peu peur, parce que j’ai l’impression que les bonnes vieilles mauvaises habitudes reviennent vite au galop, et j’ai l’impression que le post-Covid commence à faire son oeuvre.
Priscillia : Bon, alors, il y a plusieurs choses. C’est que, quand on était dans le confinement, c’est que tout le monde parlait du monde d’après, le monde d’après. Bon, le monde d’après, on a compris, il n’existera pas. On est tous beaucoup trop feignants et beaucoup trop pleutres, je crois, pour faire des changements. Et en même temps, je vais te dire, un changement, pour qu’il fonctionne, il faut qu’il soit progressif. Enfin, bref. Mais par contre, il y a encore pas mal d’espoir. Exemple, si tu regardes des facteurs comme la communication, tout ce qui est commercial. Aujourd’hui, tu ne verras pas une seule vitrine, que ce soit pour vendre des vêtements, pour vendre une console, pour vendre des télés, pour vendre, je n’en sais rien, n’importe quoi, dans laquelle il n’y aura pas un vélo. Tu ne verras pas un seul feuilleton, tu ne verras pas un seul film, tu ne verras pas rien du tout, sans qu’il y ait un vélo derrière. Il y a quand même une énorme volonté, au niveau de la communication, de tous les acteurs qui, d’ailleurs, produisent des supports de communication, de mettre le vélo. Que ce soit au premier, au deuxième plan, au troisième plan, vous verrez dans quasiment toutes les images des vélos. Et pour moi, c’est quand même un signal assez fort, en fait, qui est que, même s’il n’y a pas des messages étatiques qui passent à la télé, genre manger, bouger, rouler, le vélo, c’est meilleur pour la santé, il y a quand même, en filigrane, un sacré coup de pied aux miches pour que les gens se saisissent du vélo et l’incluent dans leur quotidien comme quelque chose de tout à fait normal. Sur ce sujet-là, en tout cas, je pense que les perspectives sont plutôt importantes. En tout cas, j’ai confiance. Je ne sais pas si on arrivera à rester sur des vélos qui sont peu polluants, vu le rush qu’on a actuellement et les peu de ressources minières qu’on a. Et puis, également, la course à l’échalote en ce qui concerne l’innovation et les vélos avec des capteurs, des vélos à itinéraire, des vélos météo et tout ce qui va avec. Mais, en tout cas, sur l’usage du vélo, je reste encore optimiste.
Ermanno : C’est marrant, cette remarque que tu fais sur la place du vélo qui est laissée, notamment, dans les supports de communication et de commercialisation. À ton avis, ça vient d’où ? Est-ce que ça vient, effectivement, d’une volonté de mettre le vélo en avant ? Est-ce que ça vient du lobby du vélo, de l’ombre ? Le lobby, les gens qu’on ne connaît pas, mais qui ont une certaine puissance sur tout un pan de l’économie ? Ou est-ce que, finalement, c’est plus simple ? C’est juste parce que le vélo, c’est un peu bobo, c’est cool, et c’est bien d’en mettre un peu partout ?
Priscillia : D’où vient l’omniprésence des vélos dans les supports de communication ? Je pense, effectivement, que c’est un complot mondial. ‘est Michelin qui veut vendre tous ses pneus. Il fait exprès de mettre des vélos en avant.
Ermanno : Hashtag ironie, évidemment.
Priscillia : Oui, second degré, troisième degré. Non, non, non, en laissant Michelin tranquille. Je pense qu’il y a une vraie compréhension que, très clairement, il faut changer de stratégie de mobilité. La mobilité, notamment, dans les villes, les métropoles et les hyper-agglomérations, c’est certain qu’on ne va plus pouvoir continuer avec des voitures. Ça n’a absolument aucun sens. Il y a beaucoup de moyens alternatifs. Ce qu’il y a, c’est que je crois qu’il n’y a aucun d’entre nous qui n’est moins recevoir des claques derrière la tête pour dire « tu vas changer, tu vas faire ci, tu vas faire ça ». Je crois que plus on nous dit de faire quelque chose et plus on dit, surtout nous, les Français, « non, je vais faire autre chose ». Par contre, effectivement, quand vous voyez des… Voilà, de façon assez implicite, c’est positionné partout, ça finit par être un objet aussi, voilà, auquel on crée une… Comment dire ? Une habitude. Et puis, il y a aussi le capital sympathie du vélo. C’est un support, quand même, qui reste assez universel. Quelle que soit notre culture, notre langue, notre sexe, ça parle absolument à tout le monde. On a tous une histoire avec le vélo. Je trouve que le mot que tu as utilisé au début de cette interview est tout à fait juste et que ça crée un côté un peu pas familial, mais en tout cas, voilà, je ne sais pas, quand on peut voir un pull en vitrine avec un vélo dessus, moi, personnellement, ça me plaît beaucoup plus qu’un simple pull normal, quoi.
Ermanno : Tu vois, hier, j’étais en train de me faire la réflexion quand tu parlais de l’omniprésence du vélo dans les supports de commercialisation. Je me suis fait la réflexion, je suis passé devant une vitrine où, c’était une vitrine pour une boutique de produits artisanaux et, en fait, dans cette vitrine qui servait un petit peu de support, il y avait un demi-vélo. Le vélo était coupé en deux et on voyait juste la roue arrière et il y avait des pièces qui étaient posées dessus. Et c’est vrai que c’est sympa. C’est sympa comme déjà comme pupitre pour poser des choses dessus, pour présenter des choses. Et puis, effectivement, il y a ce capital sympathie. Tu nous disais aussi au début de l’interview et je reboucle un petit peu du coup sur toi et on va pouvoir enclencher sur le reste, plutôt que de partir sur de la psychologie de comptoir, en tout cas de mon côté. Moi, ce n’est pas ma formation. Il y a aussi cet aspect liberté dans le vélo. Est-ce que, justement, cette présence un petit peu partout du vélo, ce n’est pas un peu pour faire appel à notre esprit ou notre envie de liberté ?
Priscillia : Je ne sais pas si quand je vois un vélo ou quand n’importe qui voit un vélo et il se dit liberté, je crie ton nom. Mais ne suis pas tout à fait certaine que ce soit ça ou du moins le message qu’on veut nous envoyer avec un vélo. Au contraire, je crois qu’aujourd’hui, si vous parlez à n’importe qui qui n’est pas vélotaffeur du vélo, ils vont vous dire, oui, les cyclistes, ils grillent les feux rouges. Donc, voilà, plutôt une très grosse volonté de cadrer ces cyclistes plutôt que de leur envoyer des messages de liberté, de paix et d’amour.
Ermanno : J’ai bien aimé ta petite voix de grand-mère agacée. Bon, revenons à toi.
Priscillia : Si vous voulez, pour les fêtes de Noël, on compte le nombre de fois où les gens à table vont se dire, les cyclistes grillent les feux rouges et il y en a marre et on refait les comptes après.
Ermanno : Oui, vu que je suis en famille avec des gens qui ne sont pas forcément cyclistes, je pense qu’il va y avoir pas mal de points à compter. Bon, on va revenir à toi. Septembre 2014, où j’imagine que tu reviens en France et c’est là que tu rejoins Bicycle à Lyon et que tu prends ce métier de coursière à vélo. On dit comme ça ou on dit coursier-femme à vélo ?
Priscillia : Je pense qu’on peut dire coursière, oui. Je ne suis pas la dame qui va te dire comment se disent les choses en France au niveau de la féminisation des mots. Je m’arrête, ce n’est pas mon niveau de compétence.
Ermanno : Donc, du coup, petite expérience de quelques temps avant de prendre la responsabilité du développement chez Bicycle. Bicycle, pardon. Et puis après, c’est là que tu te fais embaucher pour l’atelier cycle du foyer Notre-Dame des Sans-Abris. Tu nous as expliqué tout à l’heure ce qui t’avait motivé à rejoindre un petit peu cette organisation. Aussi, le fait qu’ils cherchaient un mouton à cinq pattes ou un vélo à cinq roues. On peut utiliser cette expression-là. Parce que les vélos à trois, ça existe. Les vélos à quatre, c’est quoi ? C’est une Rosalie, vélo à cinq roues. Quelle folie ! C’est le dernier épisode de l’année, tu vois, on se lâche un petit peu. Qu’est-ce qui a fait que tu y aies trouvé chaussure à ton pied ou pédale à ton pied dans ce foyer ? Oui, on reste dans les blagues.
Priscillia : Qu’est-ce qui a fait que du coup, je suis allée au foyer des Sans-Abris ? En fait, pour moi, c’est un peu comme ça. Pour moi, c’était l’équation parfaite. C’est-à-dire que, voilà, je chassais le naturel, il revient en galop. Après quelques mois chez Bicycle, je commençais déjà à avoir envie de faire des projets. J’arrêtais pas d’aller les voir pour leur dire, oui, on peut faire un partenariat avec la Croix-Rouge. Ils me disaient, mais non, notre job, c’est de livrer des paquets. Donc, il y avait forcément… À un moment donné, il fallait peut-être que je me décide. Et cette annonce, pour moi, était juste parfaite. Il y avait de l’humain. Et depuis toujours, voilà, c’est un exemple que je reprends souvent en ce moment. Il y a des gens, quand ils sont petits, on leur dit, tu veux faire quoi plus tard ? Tu veux être docteur ? Tu veux être policier ? Tu veux être pompier ? Voilà. Et ils le deviennent, tout simplement. Et moi, depuis que j’étais petite, c’était peut-être beaucoup plus flou, mais c’était avec des humains. Je voulais absolument être avec des humains. Donc, voilà. Donc, il y avait ça qui était au centre de l’équation. Le vélo, c’était un support qui, moi, me permettait également de me réaliser, ou tout du moins qui m’apportait ce côté physique, manuel, de toute évidence, dont j’ai besoin pour mon équilibre au quotidien. Et également, cette liberté de créer quelque chose, de pouvoir y donner une identité, un cap, etc. Et ça, c’est… Je ne sais pas qui n’aime pas avoir cette possibilité de feuille blanche devant soi, pour pouvoir créer et faire tout ce qui est possible, en fait. Et c’est comme ça que…
Ermanno : Des gens qui ne sont pas forcément créatifs, tu vois. Moi, j’aime pas avoir une feuille blanche parce que je ne sais pas comment je la remplis. Alors, une fois que ça vient, c’est bon. Mais quand elle est blanche, j’ai un gros moment de vide, tu vois. Je ne sais pas comment la remplir.
Priscillia : Ça, tu vois, c’était aussi un de mes trucs d’enfance, c’était d’être exploratrice. Et du coup, je trouve que, du coup, quand j’ai vu que Google Maps avait répertorié absolument toutes les images de la Terre, je me suis dit que, bon, c’est trop tard. Je n’étais pas née dans le bon siècle. Mais, par contre, il y a plein de choses, en fait, et notamment au XXIe siècle, où il y a besoin de réinventer les choses, de refaire, de reconstruire, de passer différemment, de sortir des sentiers battus, pour créer une alternative et créer un monde qui soit différent, en fait. Et c’est un petit peu ça. Cette volonté, un peu, d’explorer de nouvelles façons de faire société, de nouvelles façons de faire plein de choses qui m’a plu aussi dans cette annonce du foyer, cette page blanche, quoi, l’exploration. C’était très philosophique, je suis désolée. Je me suis emportée, moi aussi. C’est la fin de l’année.
Ermanno : Après, je ne suis pas forcément d’accord avec toi sur feuille blanche versus exploration. Tu vois, moi, j’ai toujours aussi été explorateur. Je me souviens quand j’étais jeune, enfin, quand j’étais gamin, à côté de chez mes parents, il y avait des terrains vagues. Je m’amusais à aller explorer dans les terrains vagues. Après, ils ont construit des immeubles. Pendant qu’ils faisaient les fondations, je m’amusais à aller explorer là-dedans. Le goût de l’aventure ou de l’exploration, je ne suis pas forcément certain que ça colle avec la créativité, au sens, effectivement, tu as une feuille blanche, tu en fais quelque chose de cette feuille blanche. Explorer des territoires qui ont déjà été foulés par l’homme ou pas, je ne suis pas sûr que ça relève de la créativité.
Priscillia : Tu vois ce que je veux dire ? Moi, ce que je te propose, c’est que si quelqu’un écoute ce podcast et a la réponse, qu’il vienne et qu’il nous explique les temps et les aboutissants de tout ceci.
Ermanno : Ah, ça, j’aime bien, j’aime bien. En plus, quand mon invitée proposent de l’interaction avec les auditeurs, ça, c’est génial. Pour revenir un petit peu, justement, sur cette expérience au foyer des sans-abris, tu y as fait quoi ? Et notamment, eu égard au vélo.
Priscillia : Égard au vélo ? Heureusement que tu me dis ça, parce que je suis vraiment en train de lâcher. J’allais dire, j’ai fait beaucoup de gâteaux, j’ai beaucoup dansé, je leur ai appris à danser la Macarena et le Madison, c’était génial. Non, non, alors, qu’est-ce qu’on a fait, du coup,
Ermanno : tout ça avec un vélo entre les mains, c’est ça, non ?
Priscillia : Mais oui, mais c’est génial, tu fais n’importe quoi avec un vélo. Non, mais en fait, vraiment, c’est… Déjà, je trouve que c’était hyper, hyper, hyper fort, c’est que j’avais une douzaine de personnes qui venaient chaque jour et qui me faisaient confiance, en fait, pour leur apporter quelque chose. Et pour leur apporter quelque chose, effectivement, sous l’angle de l’apprentissage, mais pas que. Et il y avait une mission qui était très forte derrière ça, c’était, effectivement, le lien. Comment refaire du lien avec des personnes qui ont pu avoir un parcours extrêmement différent du tien, par exemple, et, de par ce lien, pouvoir construire quelque chose de commun. Et c’est une des plus belles choses, je pense, qui m’aient jamais été permis de faire. Et, du coup, au quotidien, c’était, donc, de l’AVA. Donc, l’AVA, c’est Atelier d’Aide à la Vie Active, donc c’est en dessous de l’insertion. C’est des personnes qui sont dans un état physique ou moral, ou intellectuel, qui est tel que, déjà, s’ils sont présents, rien que présents, même assis sur une chaise, c’est déjà bien. Et, du coup, il y avait, donc, la volonté de transmettre des connaissances. Et on a eu beaucoup de belles histoires là-dessus. Et il y a aussi la volonté, aussi, de transmettre juste de l’envie. Moi, c’est quelque chose que je pense qui est notre moteur à tous, c’est-à-dire que les personnes qui, généralement, selon moi, ça n’est que mon avis, sont dans des situations très délicates ou de grosses fragilités ou ce genre de choses-là. Généralement, il n’y a plus de mouvement. Il n’y a plus de projection, il n’y a plus trop de liens, il n’y a plus tout ça. Et le but, c’est, initialement, déjà, de remettre un climat où la personne se sent bien, se sent en sécurité, quelques heures dans la journée, déjà. Mettre en place un climat où les gens, ils sont bien, où ils ont envie de venir, d’où le fait qu’on fasse des gâteaux. Et, après, par rapport à tout ça, pouvoir – je suis désolée, je suis très émue – pouvoir relancer la machine, donner à nouveau de l’élan, donner de l’envie de et partager ce que j’avais, ce qui me plaisait énormément. Et je pense que c’est pour ça que ça a particulièrement bien fonctionné, parce que cet atelier a vraiment super bien fonctionné. C’est que je suis vraiment passionnée par mon sujet. Et que, du coup, je pense que c’est un peu comme peut-être très prétentieux, mais ce n’est pas grave. C’est comme les profs que tu as au collège ou au lycée, ou même en primaire. Des profs qui vont être passionnants. Et, du coup, tu vas t’intéresser à leur matière et tu vas avoir du plaisir à venir à leurs cours et à les écouter, même s’ils te racontent n’importe quoi. Et puis, t’en as d’autres, au contraire, qui vont être hyper bons en théorie et en pratique, qui vont te faire le cours, le machin, etc., qui vont être hyper carrés, mais leur cours va être un vrai supplice pour toi. Et, du coup, je suppose que le fait d’adorer mon job, ça transpirait par tous les pores et que j’ai arrosé un peu tout le monde avec cette espèce d’amour inconditionnel. Et pour mon quotidien, et pour le cycle, et pour cette confiance qu’ils pouvaient m’être partagée.
Ermanno : Et qu’est-ce qui a fait, du coup, que t’aies mis un terme à cette expérience et que tu sois passée sur autre chose ?
Priscillia : Je pense que…
Ermanno : On rentre dans la séance de psy, là !
Priscillia : Quand j’étais petite… Non, je plaisante. C’est que je pense qu’on arrive dans une période où on veut tous mettre du sens dans notre quotidien, et de plus en plus. Et moi, pendant ces quatre ans au sans-abri, j’ai pu former une centaine de personnes, et on a eu des résultats vraiment qui étaient hors du commun. J’ai vu des choses se réaliser qui étaient juste exceptionnelles sur un plan humain. Et être témoin de tout ça, je me disais, mais c’est pas possible, en fait, qu’on ait que douze personnes qui soient bénéficiaires de ce service-là. C’est et égoïste et irresponsable de garder ce que je vis pour moi. Il faut qu’on aille plus loin. On peut pas en rester là. Et du coup, je suis allée voir mes responsables du foyer des sans-abris, et en fait, le foyer des sans-abris, c’est l’héberger, accueillir, accompagner et insérer des personnes. C’est pas uniquement réparer des vélos. Du coup, voilà, ils m’ont rappelé qu’eux, ils avaient des missions qui étaient beaucoup plus larges que ça, et que cet atelier vélo était un outil, mais pas une fin en soi. Donc du coup, bon, bah, forte de ce bilan, je me suis un peu questionnée. J’ai regardé plusieurs fois à quel point l’eau était froide, puis au bout d’un moment, j’ai pris un peu soit mes responsabilités, soit mon inconscience à deux mains, et je me suis précipitée dans la création de structures pour justement pouvoir aller plus loin, quoi. C’était cette vraie volonté de ne pas en rester là, quoi.
Ermanno : Et du coup, c’était un petit peu la genèse des ateliers de l’audace, où il y avait un peu un tampon entre les deux, entre ce foyer des sans-abris et les ateliers de l’audace ?
Priscillia : Ah non, il y a eu un tampon, parce qu’en fait, du coup, ça fait quand même vachement peur de créer une entreprise. Et puis, moi, je ne voulais pas forcément y aller toute seule, il y avait tout le rapport avec les pouvoirs. J’étais dans le cadre public, je n’y connaissais absolument rien. Enfin, je ne pouvais pas passer de mécanicienne en cadran de technique à fondatrice d’une structure. C’était un gap qui était assez énorme. Et du coup, pendant un an, j’ai été incubée par une structure à Lyon qui s’appelle Ronalpia, et dans lequel, avec notamment un jeune homme qui s’appelle Bruno Armand, à qui je fais des gros bisous, qui est aujourd’hui au Canada pour développer du vélo, on a essayé de bidouiller une structure, une association, d’ailleurs, encore une fois, autour de la mobilité, autour du vélo, à savoir comment transformer un quartier avec du vélo et en coopération avec les habitants. Voilà. Sauf que du coup, ça s’appelle de l’urbanisme tactique, et que à l’époque, c’était donc avant le Covid, et avec mon associé, Bruno, on n’arrêtait pas de faire du plaidoyer pour les pistes cyclables temporaires, et tout le monde nous regardait genre, mais que nenni, une piste cyclable, soit ça s’investit, soit ça n’est pas. Et du coup, on s’est un peu cassé les dents avec cette association qu’on a fermée. Juste avant le Covid, et à l’issue du Covid, qu’est-ce qu’on a vu se développer tout partout ? Des coronapistes, des pistes cyclables temporaires, mais oui, c’était incroyable. Donc voilà.
Ermanno : Ça, c’est ce qui s’appelle être visionnaire, en fait. Mais visionnaire…
Priscillia : Je sais pas. C’est pareil, on avait proposé plein de choses autour des zones, autour des écoles, qui pouvaient être sacralisées, sanctuarisées, pour que les gens puissent venir en vélo ou différemment, arrêter les embouteillages de bagnole et tout ce qui va avec. À l’époque, on allait voir les pouvoirs publics, on leur parlait de ça, et ils disaient, mais ce sont des doux rêveurs. Et aujourd’hui, j’ai vu des publications de la métropole, genre, oui, on est très très heureux, il y a plus de 150 écoles qui ont pu disposer du projet. Donc voilà, c’est… Je pense que ça, c’est une leçon d’entreprenariat. C’est qu’il y a des business qui se lancent avec un timing. C’est tous des anglicismes, on adore. Et que, très clairement, sur ce sujet-là, ce n’était pas le bon moment.
Ermanno : Oui, c’est le fameux time to market. Souvent, il y a beaucoup d’entrepreneurs, qu’on soit dans les entreprises ou qu’on parle des associations ou autres, qui ont des idées, qui ont des visions, qui imaginent certaines choses avant d’autres, avant que ça voit le jour. Et puis, finalement, tu finis par baisser les bras en disant, non, ça ne marche pas, ça ne marchera pas, ce n’est pas le bon moment, on verra plus tard. Et puis, six mois après, tu te retournes et il y a quelqu’un qui a fait son beurre avec. C’est le fameux time to market.
Priscillia : C’est ça. Et du coup, ce n’est pas si mal, parce que, du coup, moi, je t’avoue que je m’étais un peu lancée là-dedans en disant à mon collègue Bruno, ouais, ok, d’accord, on refait des villes avec du vélo et des gens, et de l’insertion par le vélo. Ce qui brouillait aussi énormément les pistes. Et du coup, lui, quand l’association a été coulée et que, du coup, de son côté, il s’est dit, on en a ras-le-bol, je vais aller là où ils savent ce que c’est, et notamment au Canada. Du coup, moi, j’ai conservé la partie qui me tenait le plus à cœur, à savoir l’insertion par le vélo. J’avais un an d’incubation dans les pattes, j’avais rencontré plein de pouvoirs publics, donc j’avais acquis pas mal de choses, de savoir-faire et de savoir être. Il y a beaucoup de choses qui se sont codifiées, on ne va pas se mentir. Et du coup, j’ai continué dans cette direction de l’insertion par le vélo. Il y a même eu les coursiers solidaires au passage pendant le Covid. Voilà, on ne s’est pas ennuyés, ça a été prolifique.
Ermanno : Tout ça nous amène à ton expérience actuelle des Ateliers de l’Audace. Donc là, c’est toi qui as fondé ça. Tu peux nous en dire plus, justement, parce que tu nous parles d’insertion par le vélo, mais ça ne parle peut-être pas à toute notre audience. Donc, rentrons dans les détails. Continue à t’allonger sur le divan et raconte-nous toute l’histoire.
Priscillia : Du coup, oui, effectivement, j’ai été fondatrice, mais avec d’autres personnes. Je pense que c’est hyper important de rappeler que c’est bien d’avoir une idée, mais c’est mieux aussi d’avoir les moyens pour les mettre en place et d’être soutenue, parce que c’est quand même un sacré chemin. Et que ça a été une bande de fous furieux dont j’ai fait partie, qui s’est dit, ouais, c’est trop bien, viens, on essaie d’aider des gens en réparant des vélos. Concept un peu flou, mais qui nous tenait tous très à cœur. Et on a commencé comme ça. Et très, très rapidement, ça a vraiment bien fonctionné. Je pense que ça a bien fonctionné parce qu’initialement, il y a quand même eu un élan de solidarité dans les structures vélos à Lyon qui nous ont filé des outils, filé des pièces, filé des coups de main. Et la deuxième chose, c’est parce que en termes de cycle ou associatif, ou social, je crois pouvoir témoigner d’un engagement assez fort et invariable qui fait qu’on a accordé un peu de crédibilité quant à la véracité de mon engagement dans le projet et également le fait que je puisse être assez tenace pour le faire tenir. Donc, ça a été un peu le démarrage. Et sur la suite, ben voilà, on est à… Tu vois, on a à peine deux ans là aujourd’hui. On aura trois ans en avril. On a aujourd’hui un atelier de… 300 mètres carrés à côté de la Pardieu. On a 150 mètres carrés de showroom. On a 32 salariés. On devrait ouvrir un deuxième bâtiment sur les quais du Rhône là au mois de mai. Pour une bébé-association, je trouve que c’est allé extrêmement vite. Et je pense que ça a été un peu… Ce qui a été un peu difficile, je crois, pour tout le monde, c’est que du coup, un développement aussi rapide, ça suppose déjà de pouvoir l’encaisser. Et que du coup, on était… pas du tout prêts à tout ça. Donc je pense qu’on a multiplié les faux pas ou les maladresses. Et la deuxième chose, c’est qu’on est arrivés avec une telle vitesse que je crois que ça a effrayé beaucoup d’acteurs locaux qui se sont demandé mais qu’est-ce qui se passe ? Et on pouvait pas leur dire ben on sait, on sait ce qui se passe, on a une vraie stratégie, on a un vrai business plan, on était là, ben non, on sait pas. Et du coup, ça a été un peu compliqué de communiquer les premiers temps. Mais voilà, le bilan a été fait après deux ans d’activité où il y a eu beaucoup de peur, de peur de… vous allez nous piquer tous les vélos, vous allez nous piquer tous les bénéficiaires, vous allez nous piquer tous les clients, qu’en fait, non, tout le monde a bénéficié du rayonnement mutuel des uns des autres, à savoir l’émergence de l’activité insertion par le vélo, le fait que ça existe et tout le monde a plus de clients, tout le monde a plus de vélos et tout le monde a plus de bénéficiaires, enfin tout du moins, j’espère.
Ermanno : Et alors du coup, le fonctionnement, les principes de ces ateliers de l’audace, c’est quoi ? C’est que dans vos 32 salariés, vous avez embauché des gens qui sont en réinsertion. Déjà, tu vas peut-être pouvoir nous aider à définir ce que c’est que des gens en réinsertion et puis, qu’est-ce qu’ils font, ces salariés qui sont en réinsertion dans les ateliers de l’audace ? Ils font du café ? Ils font de la photocopie ? Non, évidemment, je reste sur mon hashtag ironie, mais est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu tout ça ? Et puis, l’entreprise ou l’association, comment est-ce qu’elle vit ? Quel est le business model ? Quel est votre business plan ?
Priscillia : Ok. Alors, le café et la photocopieuse, c’est moi. Donc du coup, on a… On a 26… . Et ici, aux ateliers de l’audace, ce sont les salariés de l’administration qui s’occupent notamment du ménage des petits coins. Et voilà, je pense que c’est important de conserver une part d’humilité et de montrer à tout le monde qu’on est tous sur le même pied d’égalité. Et bref, aparté terminé, du coup, aux ateliers de l’audace, on a 26 personnes qui sont en insertion. L’insertion, c’est différent de la réinsertion. La réinsertion, c’est quand il y a eu des parcours qui ont été faits par des carcéraux. Et les gens qui sont en insertion, c’est des personnes qui correspondent à des critères qui sont fixés notamment par le pôle emploi, qui peuvent être soit appartenance à un QPV, donc QPV, c’est le quartier prioritaire de la ville, ou sinon à des minimas sociaux, ou qui sont en fin de droit, ou qui sont RSA depuis tant de temps, etc., etc. Si vous voulez aller voir sur le pôle emploi, insertion, ils vous diront ce que c’est. Donc, on a des profils de tout bord. On a des messieurs, on a des madames, on a des personnes qui sont issues d’immigration, on a des… des réfugiés, on a des personnes qui ont eu des grosses ruptures, on va dire, sociales, des gros moments de vie très difficiles. Je pense qu’après le Covid, ça a été quand même une claque pour beaucoup de personnes. On a des personnes qui sont atteintes de handicap, handicap physique, handicap mentaux, handicap les deux, parce que pourquoi pas. Et tout ça, ça forme la joyeuse tribu des audacieux et des audacieuses. Et donc, comment ça se passe ? Ils arrivent aux ateliers, et après, derrière, il y a plein de métiers qui leur sont proposés à l’intérieur. Donc forcément, il y a le métier de réparateur cycle, il y a le métier du reconditionnement, du réemploi et du recyclage, le métier des trois R autour du vélo, donc démonter, trier, nettoyer, ranger. Il y a le métier d’accueil du client et d’orientation, donc renseigner le client, faire un diagnostic, lui parler des différents vélos suivant sa volonté d’usage, répondre au téléphone, faire les factures. Voilà, il y a tout ce qui est autour des réseaux sociaux. On a plein d’annonces qui sont postées sur les Facebook Market, ou le genre de choses-là, qui sont 100% rédigées et gérées par nos salariés. Désolée pour les fautes d’orthographe, d’ailleurs, parfois, qui peuvent se glisser. Et qui répondent au téléphone et les premières personnes que vous voyez quand vous rentrez aux ateliers de l’audace, ce sont des personnes en insertion. Le but, c’est aussi ça, c’est de créer une rencontre entre deux publics qui, sinon, ne se seraient jamais croisés. Donc, on peut les former à tous ces métiers, ceux de la logistique, faire des commandes, savoir ce dont on a besoin au niveau des outils, des consommables, savoir les réceptionner, les lister, les enregistrer, les étiqueter avec un code barre. Donc, ça fait quand même une ribambelle de choses. Et quand vous venez aux ateliers de l’audace, c’est comme si vous alliez au décathlon éthique. C’est-à-dire, 9 fois sur 10, ce qui se passe, c’est « Ah, mon vélo, il fait du bruit. Oui, il ne fonctionne plus très bien. J’ai besoin de le réparer. » Donc, les gens, ils viennent, ils disent « Oui, le vélo, il fait du bruit. » On leur dit « Bah oui, on va faire un diagnostic avec un coût en termes… » un coût en termes de main-d’œuvre et un coût en termes de pièces et un délai de réparation. Si ces trois choses vous correspondent, eh bien, topez-la. On signe le devis. Le vélo part en réparation et quand le vélo est réparé, on vous appelle, on vous envoie un texto. Vous venez vous récupérer votre vélo et le tour est joué. C’est-à-dire que vous avez un vélo réparé dans un délai de réparation qui est extraordinaire parce que nous, on répare des vélos en cinq jours. Donc, voilà. En plus, on vous prête un vélo de courtoisie pour que plus jamais personne ne soit privé de moyens de locomotion et vous repartez avec votre vélo sauf que vous avez votre achat, le fait de confier votre vélo aux ateliers de l’audace. Ça a permis soit de créer des emplois, soit de s’engager dans une démarche éthique. C’est-à-dire que plutôt que d’aller consommer ou de dépenser pour des grandes enseignes capitalistes, ce n’est pas non plus le mal absolu, le capitalisme, mais c’est quand même bien quand ce n’est pas dans un intérêt d’enrichissement personnel, voilà. Nous, aux ateliers de l’audace, chaque euro, c’est pour le projet et pour créer des emplois. Donc, voilà. Et on fait, donc, du coup, de la réparation de vélos. Les gens peuvent aussi nous donner des vélos. Donc, on capte des déchets. Ces déchets, on les répare et une fois qu’ils sont réparés, on les revend. Et on fait également ce qu’on appelle des unités mobiles. Les unités mobiles, c’est quand on se déplace pour aller réparer les vélos des gens. Et ces trois services, on les fait aussi bien pour les privés que pour les particuliers que les publics. Et du coup, là, en quelques chiffres, atelier audace, en deux ans, on a 87% de sorties dynamiques. Ça, c’est vraiment la super grosse fierté. Une sortie dynamique, c’est quand il y a une personne qui repart de l’atelier pour faire un cursus vers l’emploi ou qui a un emploi pérenne ou un diplôme. Et du coup, les taux en France, c’est en dessous de 50%. Et nous, encore une fois, on est des bébés et puis, pourtant, on est déjà à 87%. Donc, on en est hyper fiers. On est hyper heureux. La deuxième chose, c’est que je te l’ai dit, actuellement, tu poses un vélo chez n’importe quel vélociste, il va te mettre entre 15 jours à 3 semaines de réparation. Et je pense que c’est vraiment un ratio bas que je te partage. Et chez nous, c’est 5 jours max. Les derniers temps, je regardais, on était autour de 2 jours de délais de réparation. Et pareil, pour tout ce qui est SAV, on est en dessous de 3%. Donc, c’est quand même plutôt pas mal pour un atelier qui est dans les 3000 vélos réparés à l’année. Donc, c’est assez… Enfin, moi, je trouve que c’est juste au-delà du réel ce qu’on vit ici. Et voilà, j’invite de plus en plus de personnes à bénéficier de nos services et à s’ancrer dans ce mouvement-là pour une économie alternative, tout simplement.
Ermanno : Alors, il y a une question que je te pose, mais peut-être un peu à contre-cœur, beaucoup à contre-cœur, mais je l’ai posée aussi à mes invités. C’est la question… Alors, je vais la pimper un peu. D’habitude, je pose la question du greenwashing. Qu’est-ce que tu réponds aux gens qui te disent que c’est du greenwashing ? Est-ce que là, on pourrait parler de socialwashing ? C’est-à-dire, est-ce que c’est vraiment un engagement personnel ? Bien sûr, c’est ironique, encore une fois, parce qu’eu égard à tout ce que tu m’as déjà raconté avant, on sent bien que tu es animé par ça, mais est-ce que c’est… Qu’est-ce que tu répondrais justement aux gens qui te parleraient de socialwashing ?
Priscillia : La première chose que je leur dirais, c’est de venir aux ateliers et de parler directement à nos salariés. Je pense qu’il faut toujours laisser la parole au concerné et parfois, je me dis qu’il n’y a parfois rien de mieux que la réalité pour convaincre. Donc, c’est la première chose et je n’ai même pas d’argument parce que je ne me suis jamais préparée à cette question-là. J’ai envie de te dire que si c’est le greenwashing, généralement, tu le fais dans un intérêt de faire du capital. Le but, c’est de faire de l’argent derrière, sauf que nous, on ne fait pas d’argent. On a fini l’année dernière, on a failli mourir tellement on n’avait pas d’argent. Donc, ce serait quand même compliqué de dire que c’est ça le but ou du socialwashing également. Je pense que tu vois, nous, les salariés, on a aussi des belles réussites et on a une structure qui fonctionne parce que réellement, on peut s’appuyer sur eux. Et je pense que si l’espace, en fait, c’est quand même complexe généralement de pouvoir obtenir la confiance et la validation de personnes qui sont généralement en marge de la société. C’est-à-dire, c’est des personnes qui déjà ont fait leur avis sur la société et qui se sont dit ça ne fit pas et on arrive quand même à les inclure dans le projet et à en faire vraiment le socle de tout ceci. Et je pense que rien ne fonctionnerait, qu’on n’aurait pas ces résultats qui sont assez exceptionnels si ces personnes-là n’étaient pas les premiers convaincus. Et j’ai envie de te dire que les premières personnes que j’ai envie de convaincre, au-delà certes des financeurs qui nous permettent de payer tout le monde et de faire bouillir la marmite, c’est quand même ces personnes-là. Souvent, me concernant, je pense que je suis plus au service de ces personnes qui passent la porte pour avoir une formation ou un coup de main ou qui nous font confiance pour les aider dans une direction. Je suis plus à vrais direen train de bosser au quotidien pour eux que pour les donneurs d’ordre sur des commandes ou des clients ou ce genre de choses-là. Mais voilà, je pense que j’aurais pas plus d’argument que ça parce que c’est une question que je n’ai jamais préparée. Passez la porte !
Ermanno : Non, mais comme quoi c’est bien la preuve que tu vis, c’est ta passion, tu vis ça, ce n’est même pas tu vis de ça, c’est tu vis ça. Et donc voilà, je pense que c’est la meilleure réponse que tu puisses apporter. Pour revenir un petit peu sur vos salariés, sur ces gens qui passent la porte pour une seconde chance en fait, pour s’insérer, alors pas se réinsérer puisque tu as fait un petit rappel de sémantique mais pour s’insérer, est-ce que ce sont des gens qui peuvent rester indéfiniment chez vous ou vous avez, dès le départ, vous partez sur un laps de temps défini ? Quand je parle de laps de temps défini, c’est en termes de… en termes de durée ou peut-être juste en termes de besoin, c’est-à-dire, est-ce que quelqu’un qui te dit, bah écoute, voilà, j’ai l’impression d’avoir fait mon temps ici parce que j’ai appris plein de choses, parce que j’ai repris pied dans des accidents de vie que j’ai pu rencontrer, parce que j’ai appris un métier, parce que j’ai un certificat ou un diplôme et je vais pouvoir aller trouver autre chose, est-ce que les gens sont libres de partir comme ils l’entendent au moment où ils estiment, eux, qu’ils ont atteint ce qu’ils étaient venus chercher ou est-ce que vous partez sur un contrat à durée déterminée, 6 mois, 1 an, 2 ans et puis, et puis, voilà.
Priscillia : Alors non, non, non, nous on les enchaîne au radiateur et on les garde. Non, non, mais pardon, je suis désolée, on ne devrait pas rire avec ça, mais ça me…
Ermanno : J’adore le ton que prend cette interview, c’est génial, plein de, plein de, plein de second degré, j’adore. Non,
Priscillia : non, mais je suis désolée, mais c’est, en fait, c’est tellement loin, c’est tellement loin de ma réalité que du coup, ça me fait beaucoup rire. très clairement, nous, quand on arrive ici, quand les personnes arrivent ici, on leur dit vraiment qu’on n’est qu’un sas, on n’est pas une destination. C’est que, dès qu’ils arrivent, ils comprennent qu’ici, ils sont là pour prendre un maximum de choses et pour pouvoir, après, derrière, partir, dès qu’ils le sentent et pour les raisons qu’ils veulent. Donc nous, effectivement, nous, aussi, nos résultats, on essaie de les orienter vers ce qu’ils peuvent, selon nous et selon la société, le plus les aider, notamment, c’est un peu de stabilité. Donc un emploi, parfois, c’est pas mal ou un cursus avec un diplôme, c’est pas mal.
Priscillia : Donc, suivant les volontés de chacun, on va faire un diagnostic, dire, ben voilà, d’où tu viens, qu’est-ce que tu veux faire, c’est quoi tes paramètres, parce que, par exemple, quelqu’un qui a quatre enfants et qui doit tous les soirs aller les chercher à l’école, ce ne sera pas la même chose que quelqu’un qui, à tout hasard, a un handicap assez important. Enfin, voilà, il faut vraiment, et puis, ce ne sera pas la même chose de quelqu’un qui vient juste pour reprendre confiance. Enfin, il y a une multitude de profils, et je pense que, voilà, ce qui fait aussi la pérennité dans l’emploi de quelqu’un, c’est la vraie corrélation entre le projet professionnel et la personnalité d’une personne, ça se parcourt, quoi. Donc, on fait ce petit diagnostic, et après, derrière, un contrat d’insertion, ça dure au grand maximum deux ans. Donc, de toute façon, c’est le pass IAE, le pass insertion, par l’activité économique, qui définit les règles. À partir du moment où le pass, il est lancé, c’est deux ans, point barre. Si même au milieu, vous voulez prendre six mois de congé, votre pass, il continue de tourner, et voilà. Donc, c’est deux ans, et c’est tout. Et nous, ce qu’on souhaite, c’est que, pas qu’il parte le plus vite possible, mais c’est qu’il puisse partir dès que c’est possible, tout simplement. Et on a des personnes qui ont fait deux mois chez nous. Allez, on a Frédéric, Eric, qui est arrivé, qui voulait absolument être technicien itinérant. Et on a eu, je vois leur visage, j’ai oublié leur prénom, mais des parcours qui ont été assez fulgurants en quelques mois, qui ont obtenu des emplois, qui là, actuellement, sont à Décathlon, en alternance, pour pouvoir passer leur CQP cycle, avec notamment la SEPR. La SEPR est une école qui forme les gens au diplôme CQP. Le CQP, c’est le diplôme du vélo. Et ça, ça s’est fait en, en quelques mois. Et par contre, on a des parcours qui prennent plus de temps. Et c’est aussi très bien. Là, en moyenne, un parcours d’insertion aux ateliers d’audace, c’est un an. C’est-à-dire que les gens restent en moyenne un an à l’atelier avant de passer sur autre chose. Et nous, tout le monde nous dit depuis qu’on s’est lancé qu’on devrait rationaliser nos parcours de formation pour qu’il y ait une rentabilité par rapport aux personnes entre le moment où les personnes sont formées et donc rentables et le moment où elles partent. Mais pour l’instant, on tient bon et on se dit que c’est l’objet social qui reste notre priorité et pas notre rentabilité économique. Bon, je ne sais pas si je peux le dire trop fort parce que la prochaine fois que j’irai voir un donateur, il va me dire bon, ben voilà, vous ne nous avez pas écouté donc maintenant, vous venez nous voir. Mais en tout cas, pour l’instant, ça reste vraiment notre vraie volonté. C’est, voilà, c’est de permettre aux personnes d’aller vers là où ils souhaitent aller. Je ne sais pas si c’était très clair.
Ermanno : C’était très clair et c’était plein de passion encore une fois. Donc, voilà, je pense que tout est dit. En général, je clôture les épisodes en revenant sur mon invité et en lui posant quelques questions. Donc, on va, je t’invite à respirer un petit peu et à revenir, on va revenir sur toi très rapidement. Déjà, Priscillia, quel est ton meilleur souvenir de Vélotaf ou quel est ton meilleur souvenir de cycliste de manière générale ?
Priscillia : J’en ai beaucoup. Après, ça va être vachement lié à de l’insertion mais voilà, je suis désolée. Tu as compris, c’est un peu ma fibre. J’ai formé une dizaine de personnes pour Vélov’ au moment où ils changeaient les 4000 Vélov à Lyon et du coup, ces 10 mécaniciens que j’avais formés en 10 jours, je les ai accompagnés sur le terrain pour qu’ils fassent techniciens itinérants et du coup, on est sortis de l’atelier tous ensemble et j’avais vraiment l’impression d’être la Mama Oie, tu sais, avec tous ces petits canetons derrière qui suivent à vélo et il y en avait qui ne s’étaient pas déplacés à vélo depuis qu’ils avaient 10 ans, tu sais, donc il y avait beaucoup de fébrilité, beaucoup d’appréhension et tu voyais qu’ils me serraient de près, tu sais. Et ça a été aussi un moment où du coup, ils ont pris leur envol littéralement et du coup, ça a été, je crois que c’est des choses qui, voilà, moi je m’en souviens encore de tous, quoi. Désolée. C’est magnifique.
Ermanno : À ton avis, comment est-ce qu’on pourrait promouvoir encore plus l’utilisation du Vélotaf ?
Priscillia : Oula, attends. Il que je rebranche le cerveau, il faut que j’arrête l’émotionnel.
Priscillia : Comment est-ce qu’on pourrait plus promouvoir l’utilisation du Vélotaf ? Je pense qu’il faut revenir sur les grands leviers d’action de personnes. Je pense que c’est vraiment, il faut avoir une vision très stratégique par rapport à ça. Regarder qu’est-ce qui fait que vraiment chaque personne prend une décision et comment et change ses habitudes et par rapport à ces grands leviers, mettre en place une stratégie pour qu’elle soit mise en place. Aujourd’hui, la principale réponse qu’on donne, c’est qu’il faut des vélos, il faut des infrastructures et il faut des services. C’est certain. Mais je pense qu’il y a des gens qui peuvent faire fi de tout ceci, même si ce n’est pas bien, c’est mieux de rouler en sécurité, s’il y a une volonté plus forte qui peut les animer. Et notamment, comme tu as pu le dire, le Covid a mis beaucoup de gens à vélo. Je pense que ce n’était pas pour des raisons d’infrastructures, de vélos ou de services. Mais pour des raisons qui dépassaient tous ces paramètres. Et je pense qu’il y a une vraie nécessité à remettre l’humain au corps de l’équation, même par pragmatisme, à savoir des de performances de part modale ou ce genre de choses. Super.
Ermanno : Et puis, pour terminer, non, non, mais je… Alors, on est en audio, donc les gens ne voient pas la tête que tu fais, mais tu fais l’étonner. Mais non, moi, je te le dis, je valide tes réponses. Moi, ça me touche personnellement. Donc, moi, ça me va, tu vois. Peut-être que tu auras l’occasion de te réécouter ou de demander à ton collègue qui est parti au Canada d’écouter et de te donner son avis. Je sens vraiment et je vois vraiment beaucoup de sincérité dans tes paroles et dans l’échange en visio qu’on peut avoir. Et puis, pour terminer, Priscillia, où est-ce qu’on te suit ? Où est-ce qu’on suit les ateliers de l’audace ?
Priscillia : Oh, mon Dieu. Il faudrait que je sois beaucoup plus présente sur les réseaux sociaux. Comme tu as pu voir, même par téléphone, c’est compliqué. Je pense que là où on a le plus de chance de me voir, c’est à l’atelier. Même quand je suis en déplacement à Bourges, de toute évidence, je reste encore assez insaisissable. J’aimerais dire, écoutez, par mail, c’est bien. Envoyez-moi des mails si vous voulez qu’on se contacte. Sinon, les ateliers de l’audace, c’est avant tout une page Facebook et une page LinkedIn. Mais on recherche des volontaires sur la communication parce qu’on galère. On ne sait pas faire la communication. Voilà. Mais promis, on s’améliorera.
Ermanno : Et puis, tu es une adepte du micro, aussi, parce que tu es chroniqueuse chez Radio Cyclo, non ?
Priscillia : Tout à fait. On essaie de communiquer avec Radio Cyclo. Après, c’est de plus en plus ponctuel. Mais ça va, Jérôme, j’ai encore toute sa confiance. Et généralement, c’est plutôt pour des coups de gueule qui me tendent le micro. La dernière, c’était effectivement sur les aides pour l’État. Bon, voilà. Mais je pense que c’est nécessaire. Parfois, il y a des colères qui sont saines.
Ermanno : Moi, écoute, l’année prochaine, entre mai et juin, je traverse la France en courant et je passe par Lyon. Donc, ce sera peut-être l’occasion de venir faire un coucou aux ateliers de l’audace.
Priscillia : Mais avec grand plaisir, on prévoira le ravito.
Ermanno : Super. Écoute, Priscillia, merci beaucoup. Je te souhaite une bonne continuation. Je te remercie d’avoir terminé l’année avec moi. Je te l’ai dit, c’était un épisode plein de second degré, plein d’humour, plein de passion aussi. Et donc, merci beaucoup pour ça.
Priscillia : Oui, encore désolée pour la blague sur le radiateur.
Ermanno : À très bientôt. Ciao.
Priscillia :Au revoir!